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27/07/2015

Cuba : une dictature ?

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Par André Chassaigne, député PCF du Puy de Dome, Président du groupe France Cuba à l'assemblée nationale

chassaignermc.jpgJe participais sur RMC, ce mercredi 22 juillet, au « Conseil des Grandes Gueules » qui réunit, chaque mercredi, de 12 h à 13 h, trois invités politiques pour débattre de l’actualité du jour à la sortie du Conseil des Ministres.

Après l’habituel échange sur les affaires courantes (cette semaine: agriculteurs en colère, interdiction du flashball, buralistes et paquets de cigarettes neutres) j’ai dû commenter, suivant le déroulé habituel de l’émission, une «déclaration choc de l’actualité» qui m’était réservée: Obama se réjouissant du rétablissement des relations diplomatiques des Etats-Unis avec Cuba.

Immédiatement m’a été posée «la question qui tue : «Est-ce que Cuba est une dictature?».

Sans hésiter, j’ai répondu «non, absolument pas».

Si la question ne m’a pas «tué», la réponse a quant à elle fait l’effet d’une bombe à fragmentation, d’abord dans le studio, et ensuite paraît-il sur certains réseaux sociaux.

Mais enfin, André Chassaigne, comment pouvez-vous dire une chose pareille».

Ces quelques mots du journaliste, sincèrement choqué, ont suffi pour que je mesure les dégâts faits dans les têtes par la propagande distillée depuis des années par les forces libérales et leurs porte-voix médiatiques.

Une bataille ininterrompue qui a secrété au fil du temps une vision complètement déformée de la réalité cubaine, avec l’objectif de déconsidérer aux yeux du monde l’édification d’une société nouvelle et d’un état souverain par un peuple de 11,2 M d’habitants, et sur une île si proche des Etats-Unis. : Face à la conviction, souvent de bonne foi, que le peuple cubain est sous le joug d’une dictature familiale le maintenant dans la misère, il faut donc prendre le temps d’expliquer ce qu’il en est.

Rappeler tout d’abord le contexte particulier qui a pu conduire, ce que je n’ai pas nié, à des atteintes aux libertés :

- Les 4 siècles de colonialisme et la lutte historique pour l’indépendance de l’île, de la guerre contre l’occupant espagnol à sa vassalisation, dès 1898, par les Etats-Unis qui n’ont jamais pu admettre que Cuba sorte de sa sphère d’influence, jusqu’à occuper illégalement l’espace stratégique que représente la baie de Guantanamo.

- Le processus révolutionnaire dans un pays qui avait été rongé par l’exploitation et l’injustice, avec une détermination et une exigence d’unité qui ont conduit au rôle dirigeant du Parti et à la présidentialisation du système politique, en lien avec la mobilisation populaire pour maintenir la souveraineté de Cuba.

- Une île des Caraïbes à 150 km seulement de la plus grande puissance capitaliste et impérialiste, qui a multiplié agressions militaires, attentats contre Fidel Castro, actions terroristes et plans de déstabilisation.Quant aux difficultés économiques et à la pauvreté de la population, il faut aussi prendre en compte les conditions dans lesquelles Cuba a dû se développer

- Un blocus économique et financier, en violation du droit international, que les Etats-Unis n’ont eu de cesse de renforcer, destiné à asphyxier l’économie et tout développement social pour donner «le coup de grâce» à la révolution cubaine.

- Les conséquences de la disparition de l’Union Soviétique avec un effondrement de 33 % du PIB cubain en 1990, dû à la pénurie de pétrole et de pièces de rechanges ainsi qu’à l’arrêt de multiples investissements.

- Le coût des aléas climatiques, qui se chiffre à plusieurs milliards après un cyclone (10 milliards de dollars pour la seule année 2008 sur un PIB de 60 milliards).

Et surtout, il faut souligner, dans ce contexte, les résultats malgré tout remarquables de la révolution cubaine. Loin d’être exhaustif, j’en retiens trois :

cubaechap.jpg- Le parti pris de la jeunesse et des personnes âgées, avec une politique d’éducation universellement reconnue et des résultats exemplaires en matière de santé.

- La production agricole qui se développe dans le respect de l’environnement, tout en enregistrant désormais une forte croissance après des années catastrophiques.

- Au risque de surprendre, et malgré ses imperfections, je citerai aussi une pratique démocratique qui bouscule notre vision figée du modèle d’une «démocratie occidentale» conduisant à l’alternance de grands partis défendant l’ordre libéral et au renoncement de la population par une abstention massive.

Les arguments ne manquent donc pas pour ceux qui connaissent vraiment Cuba.

Mais si ces explications parviennent à ébranler, elles ne suffisent pas toujours à convaincre.La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil» écrivait René Char.

Il faut donc être lucide sur l’état actuel de Cuba, ne rien cacher des réalités et donc en aucun cas occulter les erreurs et les échecs.

Raùl Castro lui-même a maintes fois exprimé sa volonté «d’éradiquer les erreurs commises en plus de cinquante ans depuis le 1er janvier 1959, et les nouvelles qui peuvent se produire à l’avenir».

Certes, la critique est plus difficile à exprimer pour l’observateur extérieur que je suis sans s’ériger en donneur de leçons !

Pour autant, il faut bien parler de la bureaucratie paralysante au service d’une centralisation excessive, de l’absence de motivations due à un collectivisme stérilisant les énergies, des difficultés à se nourrir et de la réalité d’un quotidien faisant de la débrouille un sport national, de cette obsession des autorités qui fait de tout opposant un espion américain, d’un culte excessif des figures légendaires que sont Fidel Castro et davantage encore Che Guevara.

Car, dire aussi ces réalités permet de chercher le pourquoi, d’analyser et réfléchir aux évolutions possibles, et au final de mieux comprendre les choix actuels du pouvoir cubain. Je pense plus particulièrement à «l’actualisation du modèle économique» mise en chantier en 2011, avec des réformes murement réfléchies, engagées «sin prisa, pero sin pausa »(sans précipitation mais sans pause), et une évaluation permanente de leur effet sur le mieux vivre de l’ensemble de la population.

L’actualité nous conduit aussi à nous interroger sur la prédiction largement admise que le régime s’écroulera dès que les Américains et leurs dollars mettront à nouveau les pieds sur l’île, pourrissant de l’intérieur la «pureté révolutionnaire».

Le risque n’est en effet pas à écarter quand on connaît la définition de la liberté et de la conception du bonheur des peuples, portée par les banques et les entreprises américaines !

C’est la perspective d’une île livrée à un capitalisme conquérant, d’une jeunesse cubaine se jetant dans le miroir aux alouettes de la société marchande, de dirigeants se reconvertissant comme tant d’apparatchiks communistes après l’effondrement du bloc soviétique.

Si j’ai conscience des difficultés à s’adapter à une situation nouvelle, je ne m’associe pas à cette chronique d’une mort annoncée.

La société cubaine d’aujourd’hui est construite sur des bases solides. L’éthique de ses dirigeants et la maturité du peuple cubain génèrent une intelligence collective pas prête d’être balayée par les vents de l’ouest venus du grand voisin yankee!

Dans la nouvelle phase du développement cubain, au cœur de l’affrontement idéologique des systèmes politiques, la «main invisible» du marché et le mécanisme de rentabilité maximale des capitaux ne seront pas en terrain conquis.

Dans cette évolution du monde et le constat de l’échec patent, malgré ses multiples recyclages, de la vieille théorie économique libérale, Cuba dispose d’un atout appréciable : elle n’est pas isolée.

Les gouvernements progressistes latino-américains ont initié des politiques qui valorisent un nouveau type de développement où l’humain, la souveraineté nationale et la coopération réduisent le rôle du marché au profit d’un nouvel ordre économique et social.

A l’heure d’une intégration européenne dévastatrice pour les peuples et la souveraineté des états, l’ALBA (Alternativa Bolivariana para las Americas) fait la preuve que des voies de coopération d’un type nouveau, équilibré et solidaire sont possibles, à l’opposé de l’intégration libérale. En s’attaquant à une dictature, bien réelle celle-ci, celle de l’argent, ils nous ouvrent un chemin…

Article publié sur le blog d'André Chassaigne

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11:06 Publié dans AL-Pays : Cuba, Amérique Latine, Politique | Tags : andré chassaigne, cuba, médias | Lien permanent | Commentaires (0) |  Imprimer | |  Facebook | | | | Pin it! | | |  del.icio.us | Digg! Digg

25/07/2014

Les médias sous la botte au Venezuela

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Je me suis réveillé ce matin en érection idéologique. Je grassematinais en écoutant d'une oreille France-Inter, lorsqu'à 7h45, la "chronique internationale" du "7/9" me mit dans un état jouissif d'exaltation.

Enfin un chroniqueur dénonçait "billes en tête" le latifundium médiatique français, la mort du pluralisme de l'information (qui n'a jamais vraiment existé depuis la Libération), la "normalisation" de France-Inter, les marchands d'armes et de béton qui font l'opinion, l'info-propagande-manipulation, la censure et l'autocensure implacables exercées par la pensée de marché...

J'attendais que le chroniqueur indique qu'il n'existait au pays jadis des Lumières qu'un seul quotidien différent: L'Humanité... J'attendais...

Las. Mon excitation priapique ne fut que passagère. Il était en réalité question des médias bâillonnés par l'autocrate "chichement élu", 50,8%, (et Hollande?), répressif, au "charisme d'une huître de Sibérie" (quelle hauteur de vue et d'argumentation!), le président Nicolas Maduro, au Venezuela.

Un Venezuela tellement dictatorial que les groupes privés nationaux et internationaux sont libres d'y réaliser leurs opérations, dans le cadre de la loi. C'est ainsi que El Universal, le plus ancien des quotidiens, très critique envers la révolution bolivarienne, comme la plupart des médias, a été racheté par un curieux groupe espagnol d'investisseurs.

Son nouveau directeur serait "proche du pouvoir". Jesús Abreu s'est engagé à maintenir la ligne éditoriale, et à ne licencier aucun journaliste. S'il y a "restructuration", elle ne se fait pas sur le mode occidental, de la thérapie de choc, du délit d'opinion : journalistes jetés à la rue...

En fait, le groupe investisseur espagnol Epalisticia aurait pour unique actionnaire une compagnie panaméenne, qui aurait usurpé le nom d'une entreprise vénézuélienne (Tecnobreaks); le montage impliquerait donc une entreprise vénézuélienne, une entreprise panaméenne et deux groupes espagnols (Gallaecia Invergest et Epalisticia), ainsi que des oligarques, banquiers et avocats : les Velasco au Venezuela, le banquier Eduardo Lopez, l'avocat J.A. de la Torre Lopez, et un Espagnol, José Luis Basante Otero. Il faut être médium pour voir dans cette bouillie financiaro-spéculative la main de Maduro.

Mais l'essentiel est ailleurs. La campagne permanente de haine contre le Vénézuéla bolivarien fait qu'aujourd'hui, face à la guerre idéologique des maîtres des médias, Goebbels ferait figure d'amateur. Le paysage médiatique vénézuélien est composé de dizaines de télés et de radios privées, qui dénigrent, voire salissent, quotidiennement un gouvernement, au demeurant fort tolérant à leur égard.

Sur 115 journaux ou périodiques, 90% sont aux mains du secteur privé. En 1998, lorsque Chavez est élu pour la première fois, il y avait au Venezuela 331 radios privées qui couvraient le territoire; elles sont aujourd'hui 466. La majorité d'entre elles farouchement hostiles au régime.

Toujours en 1998, le Venezuela comptait 32 chaînes de télévision privées, aujourd'hui 61, dont certaines ont appelé et soutenu le coup d'Etat contre Chavez, ce qui relève de la faute lourde. Venevision et Televen pilonnent quotidiennement le chavisme.

Quant aux centaines de prétendus prisonniers politiques, lors des 3 mois de "guarimbas" (manifestations violentes, destructions de centres sociaux et d'universités, barricades meurtrières, barrages de routes ...), 3 200 personnes furent arrêtées pour violences. Les étudiants y étaient très minoritaires (7%). Il ne reste aujourd'hui que 88 détenus (dont 58 de nationalités étrangères) pour des faits relevant plus du terrorisme que de l'opposition démocratique.

Le Venezuela devrait-il renoncer à appliquer la loi et laisser faire les pilleurs, les casseurs, les incendiaires? La tentative de déstabilisation insurrectionnelle de la révolution se solda par un bilan de 42 morts, la majorité d'entre eux chavistes. 14 agents des forces de l'ordre, coupables d'excès, sont toujours emprisonnés.

Un "scoop" pour terminer la cure de désintoxication : le sénat américain étudie un projet de loi pour augmenter l'aide financière des States aux médias et aux groupes vénézuéliens partisans de revenir au "bon vieux temps" de l'inféodation à l'impérialisme et du pillage des hydrocarbures. La manne de Washington passerait de 5 à 15 millions de dollars. Tout est dit.

Après avoir dégraissé Stéphane Guillon, Didier Porte, Daniel Mermet, et Jean Passe, France Inter devrait embaucher Alexandre Adler, connu pour son élégance envers Chavez.

Jean Ortiz, universitaire pour l'Humanité: http://www.humanite.fr/blogs/les-medias-sous-la-botte-au-venezuela-548239#sthash.QXbPSFmS.dpuf

21/01/2014

CUBA : LES MEDIAS FACE AU DEFI DE L'IMPARTIALITE

SLivre-Lamrani1-400x608.pngalim Lamrani, Maître de conférences à l’Université de la Réunion et journaliste spécialiste de Cuba, vient de sortir un nouvel ouvrage aux Editions Estrella avec un titre éloquent : Cuba. Les médias face au défi de l’impartialité. Ce livre de 230 pages se divise en neuf chapitres. Il est introduit par une préface du grand écrivain uruguayen Eduardo Galeano, auteur du célèbre livre Les veines ouvertes de l’Amérique latine. Lamrani, comme pour tout bon historien et chercheur, enrichit toujours son travail par des sources abondantes, avec pas moins de 350 notes dans cet ouvrage. Entretien avec Salim Lamrani par André Garand, France-Cuba Marseille.

André Garand : Salim Lamrani, parlez-nous de votre dernier ouvrage.

Salim Lamrani : Ce livre part du postulat suivant : le phénomène de concentration de la presse entre les mains du pouvoir économique et financier est devenu, partout en Occident, une réalité indéniable. Or, ces médias, qui sont liés aux puissances d’argent et qui défendent l’ordre établi, sont souvent confrontés au défi de l’impartialité, surtout lorsqu’il s’agit de Cuba. Il leur est difficile de présenter de manière objective une nation dont le projet de société défie l’idéologie dominante. De plus, Cuba est, par définition, un sujet médiatique qui suscite critiques et controverses et attise régulièrement les passions.

André Garand : Quels thèmes abordez-vous dans ce livre ?

Salim Lamrani : Mon livre tente d’apporter une réponse aux questions suivantes : Comment les médias présentent-ils la réalité cubaine ? De quelle manière abordent-ils des problématiques aussi complexes que les droits de l’homme, le débat critique, l’émigration, le niveau de développement humain et les relations avec les États- Unis ? Remplissent-ils réellement leur rôle de quatrième pouvoir ? Sont-ils capables de s’émanciper du pouvoir politique, des puissances d’argent et d’apporter une vision plurielle sur la société cubaine ? Car une presse libre et indépendante est essentielle dans toute démocratie et elle s’accompagne, à l’évidence, d’un devoir de vérité informationnelle vis-à-vis des citoyens.

André Garand : Pourquoi les médias sont-ils si critiques à l’égard de Cuba ?

Salim Lamrani : Cuba, depuis le triomphe de la Révolution et l’arrivée au pouvoir de Fidel Castro, est un sujet de débat vif et animé. Il est une raison essentielle à cela : le processus de transformation sociale initié en 1959 a bouleversé l’ordre et les structures établis, a remis en cause le pouvoir des dominants et propose une alternative sociétale où – malgré tous ses défauts, ses imperfections et ses contradictions qu’il convient de ne pas minimiser – les puissances d’argent ne règnent plus en maître, et où les ressources sont destinées à la majorité des citoyens et non à une minorité.

André Garand : Eduardo Galeano, célèbre écrivain latino-américain, a rédigé la préface de votre livre.

Salim Lamrani : Eduardo Galeano a effectivement rédigé un texte incisif non dépourvu de l’humour sarcastique, si caractéristique de son style, sur Cuba et les médias. J’en profite pour le remercier chaleureusement d’avoir bien voulu associer son nom et son prestige à mon travail. J’en profite également pour remercier publiquement Estela, journaliste espagnole, qui m’a aidé dans cette tâche.

André Garand : La quatrième de couverture comporte une citation de Jean-Pierre Bel, notre Président du Sénat, qui vous remercie pour votre travail. Elle dit la chose suivante : « Merci pour ce regard sur Cuba, tellement utile ». C’est une belle reconnaissance, non ?

Salim Lamrani : Le Président Jean-Pierre Bel est un grand ami de Cuba. C’est un grand connaisseur de l’Amérique latine. Il est très attaché à la liberté d’expression et à la pluralité d’opinions. Il est issu d’une famille de résistants communistes et est un grand admirateur de la Révolution cubaine. Il a lu certains de mes ouvrages et m’a fait parvenir ce petit mot. Je l’en remercie grandement.

André Garand : Une citation de Robespierre, à qui vous dédiez votre ouvrage, introduit le livre. Pourquoi ce choix ?

Salim Lamrani : Robespierre parlait de passer la « vérité en contrebande » car il avait la conviction profonde qu’elle finirait par triompher. Je partage cette foi.

Maximilien Robespierre est le plus pur patriote de l’Histoire de France. C’est la figure emblématique de la Révolution, le défenseur de la souveraineté populaire. Il avait compris dès le départ que les puissances d’argent étaient le principal ennemi du peuple, de la République, de la Patrie. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’idéologie dominante vilipende tant son héritage. Ses aspirations à la liberté et à la justice sociale sont toujours d’actualité.

Nous vivons une époque assez curieuse. On glorifie les ennemis du peuple et on méprise ses défenseurs. Prenez la ville de Paris : Pas une rue ne porte le nom de notre Libérateur, pas une statue à l’effigie de Robespierre, alors que le traitre Mirabeau a un pont et Adolphe Thiers, le boucher de la Commune qui a fait fusiller 20.000 patriotes en une semaine, dispose d’un square et d’une statue. Rendez-vous compte, le 22 septembre, jour de la Fondation de notre République, n’est même pas célébré en France.

André Garand : Avez-vous un message à transmettre aux adhérents de France-Cuba ?

Salim Lamrani : France-Cuba est une association pour qui j’ai beaucoup de respect et d’admiration en raison sa solidarité inébranlable avec le peuple cubain. Il s’agit de la première association française de solidarité avec Cuba et on ne peut que rendre hommage au Professeur Paul Estrade, son fondateur, et féliciter tous ceux qui poursuivent son œuvre.

J’en profite pour transmettre aux adhérents de France-Cuba mes meilleurs vœux. Pour les avoir fréquentés à de nombreuses reprises lors de conférences-débats, je connais leurs qualités humaines, leur hospitalité et leur esprit combatif. J’aurai sûrement l’occasion de les rencontrer à nouveau autour de ce nouveau livre.

Cuba. Les médias face au défi de l’impartialité

Préface d’Eduardo Galeano

Paris, Editions Estrella, 2013

230 pages

18€

Disponible auprès de l’auteur : lamranisalim@yahoo.fr

Egalement en librairie : http://www.librairie-renaissance.fr/9782953128437-cuba-le...

Et chez Amazon

http://www.amazon.fr/Cuba-Medias-Face-Defi-lImpartialite/...

06/08/2013

LE MEDIAS EN AMERIQUE LATINE !

médias,amérique latineCe n’est pas seulement par peur d’un procès médiatique en totalitarisme que la gauche qui gouverne en Occident a enterré l’information de peuple à peuple que proposaient dès les années 70 Sartre, Bourdieu ou Mattelart. La démocratisation de la propriété des médias ne l’intéresse plus parce qu’elle s’est convertie au libre marché et a régressé au “sociétal” et au “néo-colonial” sous des masques humanitaire ou laïc.

Ainsi, s’il y a autant, voire davantage, de violations des droits humains en Libye aujourd’hui que sous le gouvernement Kadhafi, le black-out médiatique dispense les socialistes ou les verts, qui ont rejeté la diplomatie des africains et des latino-américains et voté pour la guerre, d’expliquer pourquoi les droits humains de la population libyenne ont cessé de les passionner. Cette “naturalisation” de l’appropriation des médias par les grands groupes économiques et l’asservissement d’une pâle copie appelée service public, condamne ce qui reste de vraie gauche à rouler le rocher de Sisyphe sur la montagne quotidienne de désinformation.

La gauche latino-américaine, elle, déplace la montagne.

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Citoyen(ne)s équatorien(e)s fêtant le vote de la nouvelle Loi Organique de Communication (juin 2013).

Le 14 juin 2013, l’Assemblée Nationale de l’Équateur a approuvé la Loi Organique de la Communication (1). Bien qu’exigé par la Constitution de 2008, ce vote a dû attendre quatre ans faute de majorité parlementaire. La victoire en février 2013 de Rafael Correa et de son parti (Alianza PAIS) a permis, enfin, de faire passer la loi par 108 voix pour, 26 contre et une abstention. L’Equateur réalise ainsi la même révolution démocratique que l’Argentine en redistribuant la propriété des fréquences de radio et de télévision en trois tiers : 33 % pour les entreprises privées, 33 % pour le service public et 34 % pour les médias communautaires (= associatifs).

La loi, qui contient 119 articles et 22 dispositions transitoires, définit la communication sociale comme "un service public qui doit être offert avec responsabilité et qualité" et établit "la non-censure préalable et la responsabilisation a posteriori des médias sur leurs publications" ainsi que la défense des droits des travailleurs de la presse ; l’élimination des monopoles audiovisuels (pas plus d’une concession de fréquence de radio en AM, FM ou de télévision ne peut être attribuée à une personne naturelle ou juridique). En Équateur 85% des fréquences audio-visuelles restent soumises à des concessions commerciales dont l’attribution a été frauduleuse dans beaucoup de cas. L’audit des fréquences réalisé il y a trois ans a montré l’irrégularité d’un tiers environ des concessions, ce qui permettra a l’État de les libérer pour les autres secteurs.

Par ailleurs le texte s’est nourri d’autres propositions des mouvements pour la démocratisation de la communication telles que l’obligation de consacrer 60% de la programmation quotidienne à la diffusion d’oeuvres pour tout public ou de quotas de créations cinématographiques et musicales nationales (articles 102 et 103) pour soutenir la production indépendante hors des circuits commerciaux.

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Le Président Correa à Guayaquil, ouvrant le premier sommet latino-américain sur le journalisme responsable (juin 2013).

Quelques jours plus tard, à Guayaquil, lors du premier sommet latino-américain sur le journalisme responsable, le président Rafael Correa a expliqué que “le problème de fond est le modèle de communication capitaliste, l’information comme marchandise. Tout tourne autour du capital : une corporation puissante peut faire croire au public n’importe quoi, la communication ne fait pas exception. Or, si les médias ne sont qu’un commerce, que se passe-t-il dans un marché où il y a peu d’entreprises et où elles se mettent d’accord entre elles ? La communication est un ces champs où apparaît le plus clairement la domination des puissants sur le droit des citoyens, en ce cas, sur le droit d’accéder à l’information. L’information n’est pas une marchandise, c’est un droit. Les biens publics indispensables comme l’information ne sont pas commercialisables. Le bénéfice des médias privés vient de ce qu’ils la vendent non aux citoyens mais aux annonceurs. Ce n’est donc pas la qualité de l’information qui importe mais son caractère de marchandise. La soi-disant liberté d’information n’est que la liberté des entrepreneurs médiatiques, de ceux qui peuvent acquérir un média simplement parce qu’ils ont de l’argent. Aujourd’hui la mauvaise foi d’une certaine presse fait encore des dégâts mais elle ne peut plus faire ou défaire les présidents. Démocratiser la propriété des médias signifie impulser des médias hors de la logique du marché – médias publics et communautaires. Avant notre gouvernement, il n’existait ni presse ni radio ni télévision publiques. Aujourd’hui les trois existent. Il est temps de nous soulever contre les empires médiatiques. L’Amérique Latine vit une époque nouvelle, sans les dictatures que, d’ailleurs ces médias privés appuyaient, mais avec des gouvernements progressistes immensément démocratiques qui changent la réalité de nos peuples et qui continueront à lutter contre tout pouvoir de facto qui tente de nous maintenir dans le passé.”

Comme d’habitude ce nouveau pas vers la révolution du champ symbolique a mis en branle l’appareil médiatique mondial, le département d’État, la CIDH (OEA), certaines ONGs ou la SIP (association de patrons de médias) pour dénoncer à l’unisson l’“atteinte à la liberté d’expression” et le “dictateur Correa”. Lorsqu’en 1973 le gouvernement de l’Unité Populaire chilienne releva les irrégularités fiscales de médias privés comme El Mercurio, la SIP lança une campagne identique pour déstabiliser Salvador Allende.

 

Mais il est plus difficile aujourd’hui à l’internationale du Parti de la Presse et de l’Argent d’interférer dans les votes ou de s’opposer à l’éveil citoyen de l’Amérique Latine. Après l’Argentine et l’Equateur, les mouvements de jeunes, syndicats, paysans sans terre, universitaires du Brésil revendiquent à leur tour la démocratisation des ondes (2).

Même les Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes (FARC) qui négocient la paix depuis huit mois avec le gouvernement de Juan Manuel Santos, viennent d’ajouter un chapitre sur le pluralisme de médias monopolisés par le privé – qui comme au Brésil transmettent une image raciste, socialement dénigrante de la population.

Au Venezuela la majorité des ondes de radio et de télévision (3), de l’international jusqu’au local, reste elle aussi aux mains de l’entreprise privée. L’histoire d’un pays que le boom pétrolier a fait passer sans transition de la radio rurale à la télévision commerciale comme modèle unique – celui de Cisneros et de Miss Mundo – explique pourquoi les médias publics et communautaires tendent encore à imiter la forme commerciale, ce qui freine la construction populaire des programmes au coeur du projet bolivarien. Certaines lois ont déjà vu le jour pour légaliser les médias citoyens ou soutenir la production indépendante (4). Avant d’être soumise au parlement la Loi de la communication populaire qui vise à équilibrer la propriété des fréquences continue à faire l’objet de débats parmi les mouvements sociaux – certains souhaitant aller plus loin qu’une répartition par tiers. (5)

Ici comme ailleurs la tâche primordiale des mouvement sociaux est d’anticiper le mouvement. Car une fois acquis l’équilibre démocratique de la propriété des médias, il reste à effectuer le saut qualitatif : dépasser le paradigme dominant. Car si au moment où les nouvelles fréquences se libèrent, les mouvements sociaux n’ont pas encore formé des communicateurs d’un type nouveau, familiers de l’héritage mondial des esthétiques révolutionnaires comme celle du Nuevo Cine Latinoamericano et des expériences décolonisatrices de “ télévision hors de la télévision”, formés aux techniques d’enquête participative, à la théorie critique des médias et aux pratiques émancipatrices de la formation de formateurs comme celles de Paulo Freire, alors le potentiel des nouveaux espaces s’étiolerait entre les mains de petits soldats venus d’"écoles de journalisme" pour nous servir “infos”, “news”, “actus” et autres “live” sur un “plateau”.

Thierry Deronne,

Caracas, le 29 juin 2013.