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15/07/2014

C’est le Fidel Castro que je crois connaître.

CASTRO.jpgPar Gabriel GARCIA MARQUEZ

Article écrit par Garcia Marquez et publié en août 2006 dans le journal « Juventud rebelde ». « C’est le Fidel Castro que je crois connaitre : un homme aux habitudes austères et aux illusions insatiables, d’une éducation formelle à l’ancienne, aux paroles mesurées et aux manières nuancées, et incapable de concevoir une idée qui ne soit pas colossale ».

Sa dévotion pour la parole. Son pouvoir de séduction. Il va chercher les problèmes où qu’ils se trouvent. Les élans de l’inspiration sont caractéristiques de son style. Les livres reflètent très bien l’ampleur de ses goûts. Il arrêta de fumer pour avoir l’autorité morale de combattre le tabagisme. Il cuisine avec une espèce de ferveur scientifique. Il se maintient en excellente condition physique par plusieurs heures de gymnastique quotidienne et beaucoup de natation. Patience invincible. Discipline de fer. Sa force d’imagination entraine les imprévus. Aussi important qu’apprendre à travailler est apprendre à se reposer.

Fatigué de converser, il se repose en conversant. Il écrit bien et aime le faire. La plus grande stimulation de sa vie est l’émotion que procure le risque. La tribune d’improvisateur semble être son mode écologique parfait. Il commence toujours d’une voix presque inaudible, vers une direction incertaine, mais profite de chaque étincelle pour gagner du terrain, pas à pas, jusqu’à ce qu’il donne une espèce de coup de griffe et s’empare du public. C’est l’inspiration : l’état de grâce irrésistible et éblouissant, que seuls ceux qui n’ont pas eu la grâce de le vivre peuvent nier. Il est l’anti dogmatisme par excellence.

José Marti est son auteur de chevet et il eut le talent d’incorporer son idéologie au torrent sanguin d’une Révolution marxiste. L’essence de sa pensée pourrait être dans la certitude que faire un travail de masse, c’est s’occuper fondamentalement des individus.

Cela pourrait expliquer sa confiance absolue en le contact direct. Il a un langage pour chaque occasion et un mode distinct de persuasion selon les différents interlocuteurs. Il sait se mettre au niveau de chacun et dispose d’une information vaste et variée qui lui permet de se mouvoir avec facilité en tous milieux. Une chose est sûre : où qu’il soit, de quelque façon et avec qui il soit, Fidel Castro est là pour gagner. Son attitude face à l’échec, même dans les plus petits actes de la vie quotidienne, semble obéir à une logique privée : il ne l’admet même pas, et n’aura pas une minute de tranquillité tant qu’il n’aura pas inversé les données et l’aura converti en victoire. Personne n’est plus obsessif que lui quand il se propose d’aller au fond de quelque chose. Il n’y a aucun projet, qu’il soit gigantesque ou minuscule, en lequel il ne s’engage avec une passion acharnée. Et spécialement s’il doit se confronter à l’adversité. C’est alors qu’il semble de la meilleure disposition, de la meilleure humeur. Quelqu’un qui pense bien le connaitre lui à dit un jour : les choses doivent aller très mal parce que vous êtes plein d’entrain.

Les réitérations font partie de ses façons de travailler. Exemple : le thème de la dette extérieure d’Amérique Latine était apparu dans ses conversations depuis deux ans et avait évolué, se ramifiant, s’approfondissant. Ce qu’il dit en premier, comme une simple conclusion arithmétique, fut que la dette était impayable. Il y eut ensuite les découvertes échelonnées : la répercussion de la dette dans l’économie des pays, son impact politique et social, son influence décisive dans les relations internationales, son importance providentielle pour une politique unitaire en Amérique Latine… jusqu’à obtenir une vision globale, celle là même qu’il exposa dans une réunion internationale convoquée à ce sujet et dont le temps s’est chargé de démontrer la justesse.

Sa plus étonnante vertu d’homme politique est cette faculté de percevoir l’évolution d’un fait jusqu’à ses plus lointaines conséquences. .. mais il n’exerce pas cette faculté par illumination, c’est le résultat d’un raisonnement ardu et tenace. Son aide suprême est la mémoire et il en use et en abuse dans des discours ou des conversations privées, avec des raisonnements époustouflants et des opérations arithmétiques d’une incroyable rapidité.

Il a besoin de l’aide d’une information incessante, bien mastiquée et digérée. Son travail d’accumulation informative commence dés le réveil. Il prend son petit déjeuner en lisant pas moins de 200 pages de nouvelles du monde entier. Tout au long de la journée on lui fait parvenir des informations urgentes où qu’il se trouve ; il évalue qu’il lit chaque jour une cinquantaine de documents auxquels il faut ajouter les rapports des services officiels et de ses visiteurs ainsi que tout ce qui peut intéresser sa curiosité infinie.

Les réponses qu’on lui fait doivent être exactes car il est capable de découvrir la moindre contradiction dans une phrase banale. Les livres sont une autre source d’information vitale. C’est un lecteur vorace. Personne ne s’explique où il trouve le temps, ni quelle méthode il utilise pour lire autant et aussi vite, bien qu’il soutient qu’il n’en a aucune. Bien des fois il prend un livre le matin et le commente le matin suivant. Il lit l’anglais mais ne le parle pas. Il préfère lire en espagnol et est prêt à chaque instant à lire tout ce qui lui passe dans les mains. C’est un lecteur habitué aux sujets économiques et historiques. C’est un bon lecteur de littérature et il la suit avec attention.

Il est habitué aux interrogatoires rapides. Questions successives qu’il fait en rafales instantanées jusqu’à découvrir le pourquoi du pourquoi du pourquoi final. Quand un jour, un visiteur d’Amérique Latine avança une donnée hâtive sur la consommation de riz de ses compatriotes, il fit son calcul mental et dit : « C’est bizarre que chaque habitant mange quatre livres de riz par jour ! ». Sa tactique maîtresse est de questionner sur ce qu’il sait déjà, pour confirmer ses données et dans certains cas prendre la mesure de son interlocuteur et le traiter en conséquence.

Il ne perd aucune occasion de s’informer. Pendant la guerre d’Angola, il décrivit une bataille avec une telle minutie dans une réception officielle qu’il fut difficile de convaincre un diplomate européen que Fidel Castro n’y avait pas participé. Le récit qu’il fit de la capture et de l’assassinat du Che, celui de l’assaut de la Moneda et de la mort de Salvador Allende ou celui qu’il fit des dégâts du cyclone Flora, étaient de grands reportages parlés.

Sa vision de l’Amérique Latine dans le futur est la même que celle de Bolivar et de Marti, une communauté intégrale et autonome, capable de changer le destin du monde. Après Cuba, c’est les Etats-Unis qu’il connait le mieux. Il connait à fond le caractère de ses habitants, les structures du pouvoir, les intentions cachées de ses gouvernements, et cela l’aidé à déjouer le tourment incessant du blocus.

Pendant un entretien de plusieurs heures, il s’attarde sur chaque sujet, s’aventure dans des détours moins pensés, sans jamais négliger la précision, conscient qu’un seul mot mal utilisé peu causer des dégâts irréparables. Il n’a jamais refusé de répondre à une question aussi provocatrice soit-elle, pas plus qu’il n’a perdu la patience. Si on lui cache la vérité pour ne pas ajouter plus de préoccupations à celles qu’il a déjà : il le sait. Il dit à un fonctionnaire qui l’avait fait : vous me cachez la vérité pour ne pas m’inquiéter, mais quand finalement je le découvrirai je serai accablé par l’impression d’être confronté à tant de vérités que l’on ne m’a pas dites. Les plus graves toutefois sont celles qu’on lui cache pour masquer des déficiences, car a côté des grandes réussites qui soutiennent la Révolution, des réussites politiques, scientifiques, sportives, culturelles, il y a une incompétence bureaucratique colossale qui affecte presque tous les aspects de la vie quotidienne, et spécialement le bien-être des familles.

Quand il parle avec les gens dans la rue, la conversation retrouve l’expressivité et la franchise crue des affections réelles. Ils l’appellent Fidel. Ils l’entourent sans crainte, le tutoient, discutent, le contredisent, lui font de réclamations, par un canal de transmission immédiat par lequel circule la vérité à gros bouillons. C’est alors que l’on découvre l’être humain insolite, que la splendeur de sa propre image ne laisse pas voir.

C’est le Fidel Castro que je crois connaitre : un homme aux habitudes austères, aux illusions insatiables, d’une éducation formelle, à l’ancienne, aux paroles mesurées et aux manières nuancées, et incapable de concevoir une idée qui ne sois pas colossale.

Il rêve que ses scientifiques trouvent la façon de vaincre le cancer et il a créé une politique extérieure de puissance mondiale dans une île 84 fois plus petite que son principal ennemi. Il a la conviction que la plus grande réussite de l’être humain est la formation de sa conscience et que les stimulations morales, plus que les matérielles, sont capables de changer le monde et d’impulser l’histoire.

Je l’ai écouté en ses rares heures de nostalgie, évoquer les choses qu’il aurait pu faire différemment pour gagner du temps sur la vie. En le voyant accablé par le poids de tant de destinées je lui demandai ce qu’il aimerait le plus faire en ce monde, et il me répondit aussitôt : m’arrêter au coin d’une rue.

Gabriel Garcia Marquez

Traduit de l’espagnol par irisinda

»» http://laiguana.tv/noticias/2014/04/23/14818/IMPERDIBLE-E...

23/05/2014

Écho de la dernière poubelle anti-castriste

castro.jpgAprès "La face cachée du Che", L’Express publie cette semaine des extraits d’un livre intitulé "La vie cachée de Fidel Castro". L’objectif consiste – une fois encore – de tenter de ternir l’image du dirigeant cubain. Explications.

 Il s’agit, nous affirme-t-on, des confidences du lieutenant colonel Juan Reinaldo Sanchez, ancien garde du corps du dirigeant cubain, recueillies par Axel Gyldén de l’hebdomadaire dirigé par Christian Barbier.

On nous annonce des « révélations » tellement « explosives » qu’elles font saliver dans son blog Paulo A. Paranagua, journaliste au Monde , un ancien pistolero repenti et retourné dans la haine des régimes progressistes latino-américains. L’objectif consiste – une fois encore – de tenter de ternir l’image de Fidel Castro : maison secondaire démesurée dans une île paradisiaque, implication de la famille Castro dans des affaires d’argent, surveillance tous azimuts etc… La suite d’un feuilleton commencé il y a un peu plus d’un demi siècle. Rien de nouveau. Pourtant, un arrêt sur le personnage, le sulfureux Sanchez, peut aider à comprendre.

Le journaliste de « l’Express » n’a fait que prendre la suite de la presse anticastriste et surtout de la télévision Americateve, une officine de la CIA, qui a consacré plusieurs émissions au Sanchez en question au cours desquelles, il assurait avoir vu de l’or et des diamants chez Fidel, des garde du corps chargés de donner leur sang… Le Sanchez en a tant fait et tant dit qu’à l’époque plusieurs sites anticastristes basés à Miami et en Espagne réagissaient en regrettant que « le menteur » fasse rire tout le monde mais pleurer ceux qui luttent « contre la dictature » , car ridiculisés.

Et lorsque l’impétrant assure avoir fait deux ans de prison « pour avoir voulu prendre sa retraite », c’est l’hilarité générale, un des rédacteurs affirmant avoir rencontré Sanchez dans une boîte de nuit de la Havane contrôlée par l’Etat cubain échangeant avec des officiels et concluant : « c’est un infiltré ».

Les éditions Lafon et Axel Gyldéen sont tombés dans le panneau. Peu importe. Mais le choix de publier un tel ouvrage en ce moment même a une signification : alors que des frémissements sont perceptibles aux Etats-Unis pour mettre fin au blocus économique de la Grande Ile et alors que l’Union européenne décide de renouer avec Cuba, les milieux hostiles à une telle perspective tirent dans tous les sens en utilisant tous les canaux : les éditions Lafon, par exemple.

José Fort, pour l'Humanité

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18/04/2014

ADIEU A UN IMMENSE ECRIVAIN : GABRIEL GARCIA MARQUEZ !

gabriel.jpgGabriel Garcia Marquez, prix Nobel de littérature 1982, l'un des plus grands écrivains du XXe siècle, est mort à son domicile de Mexico jeudi 17 avril. Il était âgé de 87 ans.
Son œuvre a été traduite dans toutes les langues ou presque, et vendue à quelque 50 millions d'exemplaires. L'auteur de "Cent ans de solitiude" était surnommé « Gabo » dans toute l'Amérique latine.

À soixante-quinze ans, Gabriel Garcia Marquez, l'auteur de Cent Ans de solitude, s'est lancé dans l'écriture de ses Mémoires. Le premier tome, Vivre pour la raconter, vient d'être publié en France.

Nous republions aujpourd'hui l'article de l'Humanité publié en 2003

Les Mémoires de l'écrivain colombien Gabriel Garcia Marquez sont celles d'une vie inspirée, vécue avec intensité et rythmée par l'histoire de la Colombie des années quarante et cinquante. Dans Vivre pour la raconter, le premier tome d'une suite à venir, Marquez relate ses souvenirs d'enfance et de jeunesse. De l'âge de cinq ans à l'âge de trente ans, il fait partager au lecteur les étapes d'une vie tantôt entourée de sa famille, tantôt de ses amis écrivains. C'est tout au long d'une évolution graduelle, jusqu'à devenir ce formidable journaliste et romancier, que l'auteur nous guide dans le labyrinthe de sa vie, ponctuée par des événements de la petite et de la grande histoire.

Ses premiers souvenirs sont ceux du village où vivent ses grands-parents, Aracataca, situé dans les montagnes de la caraïbe. Là où il vit, jusqu'à l'âge de huit ans, aux côtés de ses parents, de ses frères et sours. Il est marqué par le mysticisme et la superstition d'une grand-mère, Tranquilina Iguaran, et par les récits épiques d'un grand-père, Ricardo Marquez Mejia, survivant de la guerre des mille jours qui fut, de 1899 à 1902, une des plus sanglantes guerres civiles de Colombie. Ainsi, dès sa petite enfance, Marquez commence à tisser la toile de son propre univers imaginaire.

gabriel2.jpgL'auteur se promène dans les méandres de sa mémoire et nous propulse au cour d'une arrivée agitée dans le monde qui l'entoure et qu'il expérimentera avec humour et tendresse. Son introduction à la vie intellectuelle, politique et sentimentale colombienne va nourrir et déterminer les conditions d'existence de son ouvre future.

Pour le lecteur, ce livre permet de comprendre comment Marquez est devenu l'immense auteur de Cent Ans de solitude (1967), ce fabuleux roman qui l'a rendu si célèbre. Pour Marquez lui-même, il semblerait qu'écrire et raconter sa propre histoire se révèle un besoin vital.

Si l'on se fie au titre de ses Mémoires, celles-ci sont en quelque sorte la justification de sa propre vie. Être au monde est une raison suffisante pour se raconter. Comme si, à l'âge de soixante-quinze ans, arrivé à la fin de sa vie, Marquez estimait qu'elle prend du sens dès lors que le souvenir la sauve du temps qui passe. Et de fait, lorsqu'un des plus grands écrivains latino-américains du XXe siècle entreprend cet exercice introspectif, il est impossible de bouder son plaisir.

À la manière d'un long entretien, que Marquez refuse d'accorder aux journalistes depuis des années, il rassemble et donne vie aux pièces d'un puzzle resté longtemps intacte. Gabriel Garcia Marquez revendique son vécu comme un trop-plein de subjectivité et d'ambiguïté qui définit la complexité du souvenir.

D'aucuns pourraient craindre que l'entreprise de dévoilement entamée par Marquez n'interfère avec ses ouvres passées. Il n'en est rien. Et ceux qui lui reprochent de ne pas avoir été à la hauteur de ses romans se trompent de critique. Il est bien clair que Vivre pour la raconter n'est pas un roman et n'en a guère la prétention. L'autobiographie est un genre très différent de l'écriture journalistique, du roman ou de la nouvelle. La vérité qui surgit de sa mémoire, toute relative et imparfaite soit-elle, donne toute sa raison d'être au récit de sa vie.

Des anecdotes familiales souvent excentriques, des villes fantômes ou meurtries par des massacres, des maisons hantées, des ambiances de café, de bordels et de rédaction de journal sont un ensemble de strates qui cimentent son éducation, le cheminement de sa pensée, et déterminent ses choix d'écriture. Sans dénaturer la magie de ses romans et de ses contes, Marquez permet au lecteur de pénétrer dans les coulisses du processus de fabrication de son univers littéraire. Aracataca, le village de son enfance, préfigure le Macondo de Cent Ans de solitude. Des personnages, à l'instar de son grand-père, ex-colonel, ou encore de ses parents, sont à l'origine de romans tels que Le colonel n'a personne pour lui écrire (1961) ou l'Amour au temps de choléra (1985).

Ainsi son roman Chronique d'une mort annoncée, paru en 1981 (un an avant de recevoir le prix Nobel de littérature), est basé sur un fait divers surréaliste, survenu à Sucre, ville de résidence de ses parents : la sombre histoire de la mise à mort d'un jeune homme prévue par deux hommes, connue de tout le village et pourtant inéluctable. Ou encore l'histoire d'une fillette morte, retrouvée dans une crypte du couvent de Santa Clara, dont la chevelure cuivrée avait poussé jusqu'à atteindre près de vingt-deux mètres en deux cents ans. Marquez accolera cette anecdote à une légende que sa grand-mère lui avait racontée à propos d'une petite marquise, Sierva Maria de tous les Anges, atteinte par la rage et vénérée dans les villages de la caraïbe. Elles lui inspireront un de ses plus beaux romans : De l'amour et autres démons (1994), qui raconte l'amour impossible entre une fillette possédée par le démon et un prêtre.

L'ouvre de Gabriel Garcia Marquez ne peut se résumer à un savant mélange d'imaginaire fantasque et de réalisme. Mais ses romans ont un pouvoir d'attraction inégalé où les personnages, marqués par des caractères et des destinées baroques, emportent tout sur leur passage, erreurs, secrets, désirs, et nous avec.

L'ensemble de son ouvre est le résultat d'un long mûrissement, eu égard à ses nombreuses rencontres avec écrivains et journalistes colombiens qui aiguiseront son style. La stimulation intellectuelle lui servira à choisir ses nourritures littéraires, découvrant ainsi, entre autres, des auteurs majeurs comme Virginia Woolf, Sophocle, William Faulkner, Kafka et Cervantès. L'univers de Gabo, apocope de Gabito, comme le baptiseront ses collègues du journal El Espectador, est chargé d'amour, de malheurs, d'illusions et de déceptions que ses Mémoires rassemblent avec une précision quasi documentaire.

Vivre pour la raconter ne trahit à aucun moment son ouvre. Au contraire, c'est une plongée au cour de l'esprit d'un écrivain exceptionnel, une plongée qui éclaire son ouvre.

Ixchel Delaporte pour l'Humanité

Vivre pour la raconter, Gabriel Garcia Marquez, traduction d'Annie Morvan, Grasset. 550 pages, 22 euros.

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21/03/2014

Laura Alcoba, la plume française de l’Argentine

livres, france, littérature, argentine, salon du livre, laura alcobaL’auteur du « Bleu des abeilles » écrit en français, traduit de l’espagnol et elle est invitée au Salon comme écrivaine argentine.

Née en Argentine, Laura Alcoba arrive en France à l’âge de dix ans. Son père, opposant à la dictature des généraux, est emprisonné, sa mère a fui le pays avec elle. Elle fait ses études en France, puis enseigne à l’université de Nanterre. Manèges décrit la vie sous la dictature, tandis que le Bleu des abeilles raconte sa découverte de la France, l’apprentissage de la langue française et le bonheur qu’elle y a trouvé. Écrivant en français, Laura Alcoba est traductrice de l’espagnol et éditrice. Elle a donc un point de vue privilégié sur la littérature argentine et ses relations avec la France.

On dit beaucoup qu’il y a des relations particulières entre écrivains argentins et français.
Laura Alcoba : Il y a des liens historiques importants. La Mecque des écrivains argentins a longtemps été Paris. Y aller à dans les années cinquante, c’était faire un voyage initiatique. Beaucoup d’écrivains argentins ont fait le choix du français, Hector Bianciotti, Sivia Baron Supervielle. Paris est très présent dans la littérature latino américaine. « Marelle » est un roman parisien autant que latino américain.

La fascination est réciproque. Dans les années trente, Roger Caillois en témoignait.
Laura Alcoba : Son rôle a été très important. Sa revue, « La Croix du Sud » a fait connaitre aux Français de nombreux auteurs argentins, de la génération de Borges, Bioy Casares.

La littérature argentine passe pour un cas à part dans la littérature latino-américaine
Laura Alcoba : Elle a une image plus intellectuelle, plus froide, à mi-chemin entre la philosophie, l’essai et la poésie. C’est une littérature qui est moins marquée par le roman. Le boom latino est un âge d’or du roman, alors qu’en Argentine, jusqu’à une date récente, le genre noble était la nouvelle, le conte, la forme brève. Il y a encore de grands auteurs qui n’écrivent que des nouvelles. Là encore c’est l’empreinte forte de Borges, de Casares, et même de Cortázar, même s’il est aussi passé brillamment au roman.

On la voit comme un peu moins réaliste
Laura Alcoba : Avec un fantastique plus présent, mais plus cérébral que le « réalisme magique » du boom latino. Elles sont plus réflexives, la littérature s’y met plus en scène. C’est un mouvement engagé depuis longtemps par Borges, que poursuivent, différemment, des écrivains comme Rodrigo Fresán, un auteur très expérimental, dont les livres sont traversés par la question de l’écriture, de la création, la représentation de l’écrivain.

Et une réflexion sur les codes du genre.
Laura Alcoba : Oui, pour lui c’est la science-fiction et le fantastique, pour quelqu’un comme Cesar Aira, ce sera le conte pour enfant, avec les petites filles, les princesses…

On sent là l’influence de Borges, et la volonté de s’en libérer.
Laura Alcoba : Borges a fini par devenir un synonyme de littérature, avec ses thèmes, la bibliothèque, le labyrinthe, C’est une référence écrasante, et il est nécessaire de s’en dégager, sous peine de finir par penser qu’il a tout écrit, qu’on ne peut plus rien écrire après lui. C’est peut-être pour cela qu’émergent aujourd’hui des figures originales, très fortes. Rodrigo Fresán en est une, Ricardo Piglia aussi, ou Alan Pauls. Mais ce qui est caractéristique de la littérature argentine d’aujourd’hui, c’est la place prise par le roman. Et il y a parmi les nouveaux romanciers des voix singulières, comme celle de Selva Amada, dont j’ai traduit le premier roman, et qui n’est pas dans une attitude cérébrale et réflexive, mais dans une littérature d’ambiance, avec des personnages très forts, très construits, de vraies interactions, qui est très nouveau en Argentine. Et elle vient du Nord-est, et décrit une nature très différente de Bueños Aires ou de la Pampa. C’est très chaud, tropical, humide, et ce n’était pas jusque là dans le paysage littéraire argentin

Est-ce que ça veut dire qu’il y a une littérature de Bueños Aires et une autre ?
Laura Alcoba : Ce qui est certain, c’est que dans les nouvelles générations, beaucoup viennent d’ailleurs. L’Argentine est très vaste, et mal connue, et même pour un lecteur argentin c’est une découverte. Dans les années cinquante, la Pampa et la Patagonie étaient là, mais presque comme des concepts ou des références culture.

Un thème qu’on ne peut éluder, c’est celui de la dictature et de ses traces dans la mémoire aujourd’hui. Je pense en particulier au roman de Brizuela (1)
Laura Alcoba : Chez lui, comme chez beaucoup d’auteurs de sa génération, cette époque est devenue le point de départ d’une réflexion sur ce nous aurions fait, sur le courage et la lâcheté. Jusqu’où peut-on être lâche et a-t-on vraiment envie de le savoir ? Ce sont des questions qui dépassent le cadre historique argentin et qui pour cela intéressent des lecteurs de tous les pays. On arrive à des interrogations morales universelles. C’est pourquoi l’étiquette « littérature de la mémoire est très réductrice ».

Il y a une génération, peut-être plus jeune, totalement déconnectée de l’histoire, comme Pola Olaixarac
Laura Alcoba : C’est une romancière très forte, qui, comme Rodrigo Fresán, et Eduardo Berti, n’a pas été invitée. Il y a des oublis bizarres et une polémique est née sur ces questions. (2) Je fais partie de ceux qui entendent revenir sur les « oubliés »

Vous-même vous avez décidé d’écrire en français
Laura Alcoba : Ce n’est même pas une décision. Je suis en France depuis mon l’âge de dix ans, et la question s’est posée plutôt en Argentine quand a été traduit mon premier livre, « Manèges ». c’est un roman, mais j’avais travaillé sur des souvenirs d’enfance sous la dictature Ma mère et moi étions cachées dans une maison qui abritait une imprimerie clandestine. On s’est étonné du fait que j’aie pu écrire en français. Et je me suis posé cette question : pourquoi est-il si naturel d’écrire en français ? Pourquoi n’ai-je pu l’écrire qu’en français ? Et « Le bleu des abeilles » est peut-être une réponse à cette question. Je correspondais avec mon père, prisonnier politique, en espagnol. « Manèges » est très marqué par le silence. L’espagnol est une langue où j’ai appris à me taire, à avoir peur, l’entrée en langue française est une libération.

Vous êtes cependant invitée au salon en tant qu’ « écrivain argentin »
Laura Alcoba : Ce n’est pas la première fois. Ça s’était déjà produit à la foire de Francfort. Mais quand mon livre a ét, traduit en espagnol, sous le titre « La casa de los conejos » (« La maison des lapins ») il a été édité sous les couleurs de ceux en langue espagnole, et non des « traductions ». Quand je m’en suis étonnée, l’éditeur m’a répondu « c’est un livre argentin ». J’écris de la littérature argentine en français, voilà ce que je peux dire.

(1) « La nuit recommencée » (Seuil) L’Humanité du 6 février 2014
(2) Depuis la date de cet entretien, Ricardo Piglia a annoncé son intention de ne pas se rendre à Paris, en solidarité avec les écrivains écartés de la délégation.

  • Le Bleu des abeilles
    de Laura Alcoba.
    Gallimard, 128 pages, 15,90 euros.

Entretien réalisé par Alain Nicolas pour l'Humanité