28/10/2025
Vijay Prashad : « La résistance de Cuba heurte le sentiment de main-mise des États-Unis sur l’Amérique latine »
Le directeur de l’Institut Tricontinental Vijay Prashad revient sur la politique anti-cubaine de Donald Trump.
L’Assemblée générale des Nations unies devrait adopter une nouvelle fois, ce mercredi, une résolution demandant la levée du blocus imposé depuis 1962 par les États-Unis à La Havane. Le gouvernement cubain, qui qualifie de politique « criminelle et inhumaine » la stratégie d’asphyxie employée par Washington visant à provoquer un « changement de régime » sur l’île, dénonçait le mois dernier un impact estimé à 7,5 milliards de dollars entre mars 2024 et février 2025 sur l’économie du pays. Soit une hausse près de 50 % par rapport à la période précédente. Entretien avec Vijay Prashad, directeur de l’Institut Tricontinental et co-auteur avec Noam Chomsky de « Cuba, l’île insurgée » (2024, Editions Critiques).
Pour rallier des voix à sa cause anti-cubaine, la diplomatie états-unienne tente cette année de faire un lien entre le gouvernement de l’île et la guerre russo-ukrainienne, et continue de vouloir faire passer les programmes cubains de coopération médicale pour du « travail forcé »…
Vijay Prashad, directeur de l’Institut Tricontinental
Il fut un temps où un journaliste occidental pouvait dire n’importe quoi sur la Corée du Nord, sans aucune preuve, et son journal le publiait. Il en va de même pour Cuba. Les politiciens peuvent dire n’importe quoi, les journalistes le publient. Il n’y a aucune vérification des faits. Nous avons pu le confirmer avec plusieurs exemples des dernières années. La soi-disant utilisation d’une « arme sonique » (l’affaire du « syndrome de La Havane », NDLR) ayant visé des diplomates états-uniens en poste à Cuba, s’est avérée totalement fausse par la suite. L’information selon laquelle le gouvernement chinois construisait une base (d’espionnage, NDLR) à Cuba était aussi totalement fausse. Ce sont des absurdités propagées par le régime états-unien pour délégitimer Cuba, mais elles sont toutes absurdes et sans fondements. Elles ne reposent sur aucun fait. Les faits effraient les impérialistes. Ils préfèrent leurs fantasmes.
Le retour de Donald Trump au pouvoir a au moins le mérite de remettre les pendules à l’heure, alors que beaucoup, en Occident, ont eu tendance à croire que la situation avec Cuba s’était normalisée depuis la présidence de Barack Obama et le rétablissement des relations diplomatiques.
Il n’y a jamais eu de normalisation. Il n’y a eu qu’une atténuation – momentanée – de l’impact du blocus. Le point essentiel concernant ce blocus est qu’il est illégal. Aucune résolution du Conseil de sécurité des Nations unies n’autorise les États-Unis à imposer un blocus empêchant des tiers de faire des affaires avec Cuba. Si les États-Unis ne veulent pas commercer avec Cuba, très bien : ils ne sont pas obligés de le faire. Mais les États-Unis utilisent leur pouvoir pour menacer unilatéralement tout autre pays souhaitant faire des affaires avec Cuba. C’est là que réside l’illégalité du blocus. Le président Barack Obama n’a pas levé le blocus. Le problème est que depuis sa mise en place dans les années 1960, le blocus a été soit renforcé, soit assoupli, sans jamais disparaître. Il a en réalité surtout été renforcé, et avec Marco Rubio au poste de secrétaire d’État, la politique anti-cubaine est au cœur du programme de Trump.
Dans votre livre, co-écrit avec Noam Chomsky, vous pointez du doigt qu’au-delà des intérêts matériels qui ont l’habitude de dicter la politique extérieure des États-Unis, il y a avec Cuba une notion de « défi » qu’il faudrait mater…
La résistance de Cuba, sa façon de défier la première puissance mondiale, heurte le sentiment de main-mise des États-Unis sur l’Amérique latine. Noam et moi avons été très surpris de découvrir, en étudiant des documents d’archives des différentes administrations états-uniennes, que les décideurs politiques de ce pays étaient irrités par « l’esprit de résistance » de Cuba, un mot que l’on voyait revenir fréquemment. Ou encore par « l’esprit de rébellion » de Fidel Castro. Ils le détestaient pour cela, ainsi que pour sa popularité.
Actuellement, lorsque les médias occidentaux évoquent l’attitude interventionniste des États-Unis en Amérique latine, ils ont tendance à l’expliquer (à la justifier ?) en la replaçant dans le contexte de l’actuelle rivalité économique avec la Chine. Cela n’occulte-t-il pas la nature « impérialiste » qui caractérise la politique étrangère de Washington vis-à-vis du sous-continent ?
Les États-Unis sont intervenus en Amérique latine bien avant la montée en puissance de la Chine. Cette histoire remonte à la fondation des États-Unis en 1776. Notre livre commence par le débat aux États-Unis sur l’opportunité d’envahir Cuba, une île que les pères fondateurs nord-américains considéraient comme faisant légitimement partie de leur territoire. Cuba était cruciale pour le projet d’esclavage dans le delta du Mississippi, et les États-Unis voulaient l’intégrer à leur plan économique.
Ils ont finalement réussi à absorber Cuba dans leur sphère d’influence, mais l’ont perdue lors de la révolution cubaine de 1959. La réponse a été le début du blocus. L’interventionnisme états-unien en Amérique latine peut être résumé par l’expression familière « notre arrière-cour ». Croyant arranger les choses, le président Joe Biden (2021-2025) a déclaré que l’Amérique latine n’était plus « l’arrière-cour » des États-Unis, mais son « avant-cour ». Il essayait d’être diplomate, mais en réalité, l’Amérique latine n’est pas du tout la cour des États-Unis, mais un ensemble de pays indépendants.
10:53 Publié dans Actualités, AL-Pays : Cuba, Histoire, Société  | Tags : cuba,  livre | Lien permanent  | Commentaires (0)  | 
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18/08/2016
Fidel Castro - Héros des déshérités
Personnage controversé en Occident, Fidel Castro est plébiscité par les peuples d’Amérique latine et du Tiers-monde qui le considèrent comme un symbole de la résistance à l’oppression et un défenseur de l’aspiration des pays du Sud à l’indépendance, à la souveraineté et à l’autodétermination.
Rebelle mythique entré de son vivant dans le Panthéon des grands libérateurs du continent américain, l’ancien guérillero de la Sierra Maestra a vu son prestige dépasser les frontières continentales pour devenir l’archétype de l’anti-impérialisme du XXe siècle et le vecteur d’un message universel d’émancipation.
Trois facettes caractérisent le personnage de Fidel Castro. Il est tout d’abord l’architecte de la souveraineté nationale qui a réalisé le rêve de l’Apôtre et héros national José Martí d’une Cuba indépendante et a redonné sa dignité au peuple de l’île.
Il est ensuite le réformateur social qui a pris fait et cause pour les humbles et les humiliés. Il est enfin l’internationaliste qui a tendu une main généreuse aux peuples nécessiteux et qui place la solidarité et l’intégration au centre de la politique étrangère de Cuba.
18:12 Publié dans AL-Pays : Cuba, Culture, Histoire, Livre  | Tags : fidel castro,  livre,  salim lamrani | Lien permanent  | Commentaires (0)  | 
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31/01/2016
L'écrivain martiniquais Raphaël Confiant lauréat du prix littéraire "Casa de las Americas" à Cuba
Pour son livre "Le Bataillon créole", le romancier martiniquais Raphaël Confiant a reçu le prix "Casa de las Americas", pour la seconde fois. Cette distinction est décernée chaque année à Cuba par un jury international composé de personnalités et d'écrivains d'Amérique du Sud et des Caraïbes.
Et de deux. Raphaël Confiant avait déjà obtenu en 1993 le prix "Casa de las Americas" de la littérature en français ou en créole pour son récit autobiographique « Ravines du devant-jour » (éditions Gallimard). Vingt-trois ans plus tard, le jury lui a une fois de plus décerné le prix, ce jeudi à l’unanimité, pour son roman historique « Le Bataillon créole » (éditions Mercure de France, 2013).
  
 Dans cet ouvrage trépidant, que nous avions évoqué à sa sortie, l’écrivain martiniquais revenait sur un aspect peu connu de l’histoire. Celui de ces Antillais qui s'engagèrent volontairement au sein du « Bataillon créole » pour défendre la « mère patrie », la France, durant la guerre de 14-18, et qui combattirent les troupes allemandes dans la Somme, la Marne, à Verdun et sur les autres fronts de la Grande guerre. Raphaël Confiant racontait les épreuves de ces Martiniquais partis sous le feu à des milliers de kilomètres de chez eux dans des conditions traumatisantes, l'angoisse des familles, l'effroi des combats, les blessures physiques et psychiques, les errements du retour…
  
 Les membres du jury du prix "Casa de las Americas" ont souligné dans un communiqué « la valeur sociologique et ethnographique de ce roman, basé sur un vaste travail de recherche qui réalise une grande fresque de la Martinique de la période 1914-1918, et qui montre comment la guerre a marqué le monde colonial ». Raphaël Confiant a su « privilégier les histoires dont ne parle pas l'Histoire, en montrant dans une polyphonie bariolée une mosaïque de personnages pittoresques, réels et émouvants », poursuit le texte. Le jury relève également « la force, l’humour et l’originalité » du romancier, qui témoigne de « l’oralité créole d’une période encore peu connue des Caraïbes ». Notons par ailleurs que l'écrivain guadeloupéen Ernest Pépin a reçu une mention spéciale du jury pour son recueil de poésie "Guadeloupe ouvre ses ailes froissées" (éditions Orphie, 2015)
11:05 Publié dans AL-Pays : Cuba, Amérique Latine, Culture, Livre  | Tags : raphaël confiant,  livre,  prix,  guerre 1914 | Lien permanent  | Commentaires (0)  | 
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24/11/2014
Leonardo Padura « Je suis et resterai un indécrottable Cubain »
Leonardo Padura était en France pour présenter son dernier livre Hérétiques. En observateur scrupuleux, il parle sans tabou et sans langue de bois de son pays et de son histoire.
Votre roman Hérétiques, au-delà de la question du dogme, questionne la notion de liberté, de l’individu ou du groupe ...
LEONARDO PADURA La liberté est un élément essentiel de la condition humaine. Nul ne cesse d’être libre volontairement et la privation de liberté est liée à des circonstances extérieures, pas que politiques. Cela a à voir avec l’épanouissement de l’individu. Je ne voulais pas cantonner le livre au seul angle politique. Je voulais que les dimensions humaines, sociales et philosophiques soient les fils conducteurs de cette histoire.
Peut-on dire que c’est le roman d’une certaine désillusion ?
LEONARDO PADURA D’une désillusion intergénérationnelle. L’histoire met en scène deux générations qui se suivent et vivent une expérience totalement différente. Mario Conde (le détective, personnage récurrent dans les écrits de Padura – NDLR) a cru à la révolution. Il y a participé jusqu’au moment où l’édifice s’est effondré sous ses pieds dans les années quatre-vingt-dix. Conde, comme tous ses concitoyens, a subi de plein fouet les pénuries et, dans un même mouvement, découvert la réalité du « socialisme réel ». Judit est née dans ces années-là et n’a pas vécu cette histoire. On mesure, entre l’itinéraire de ces deux personnages, l’évolution de la société cubaine. Tous les interdits de la génération de Conde n’existent plus. La génération actuelle est plus libre. Elle vit dans un pays plus chaotique, mais il est plus facile de s’épanouir personnellement. Conde ne comprend pas très bien cette jeunesse mais, avec son intelligence, son intuition, il tente de le faire.
Vous brossez le portrait de cette jeune génération qui se retrouve le soir, Avenida G, en déshérence...
LEONARDO PADURA La jeunesse, en général et d’où qu’elle soit, a peu conscience du futur.
Elle vit l’instant, le temps présent. Et cette jeunesse qui se retrouve Avenida G essaie de vivre dans un pays compliqué, économiquement asphyxié. Ce qui, du temps de Conde, procédait d’une logique cartésienne, dans le sens où la société organisait une vision d’avenir s’est effondré peu à peu. Voilà pourquoi les jeunes Cubains ne regardent pas l’avenir comme leurs aînés, parce que, la plupart du temps, ils n’ont pas d’avenir. Cela se traduit par une irrépressible envie de partir, au point que quitter l’île devient une solution pour son accomplissement personnel. Ceux qui émigrent sont les jeunes les plus instruits, formés. C’est une perte énorme pour le présent et le futur du pays.
On a le sentiment, à vous lire, que cette jeunesse fait partie d’une petite bourgeoisie qui ne dirait pas son nom...
LEONARDO PADURA Je ne crois pas. Certains sont capables de se priver de nourriture pour pouvoir se payer des fringues griffées. Ils ont deux paires de chaussures, de la marque Nike ou Converse quand la génération de Conde en avait une seule, la même pour tous. Et posséder des baskets de marque, aujourd’hui, c’est devenu une question vitale pour ces jeunes gens.
Dans l’Automne à Cuba, où il est question d’un vrai-faux tableau de Matisse, le ton était différent. On vous sent plus mélancolique dans Hérétiques...
LEONARDO PADURA Ce roman est effectivement plus dramatique. Mais ce n’est pas dû qu’à l’environnement, à la société. Conde a vieilli. Il est plus fatigué, plus désenchanté. Il doit gagner sa vie comme il peut depuis qu’il n’est plus flic. Son regard sur la vie s’en ressent.
Mario Conde serait-il nostalgique ?
LEONARDO PADURA Quand tu as cinquante ans, la nostalgie est un élément intrinsèque de ta vie. Tu éprouves la nostalgie de l’époque où tu pouvais toucher tes pieds avec tes mains. Quand tu avances dans la vie, tu idéalises le passé. Avec le recul, je mesure que ma génération, celle des années 1980, a connu beaucoup d’opportunités, mais nous ne le savions pas. Certes, il se passait des choses graves, mais je me souviens de cette époque comme la plus heureuse de ma vie. Je crois que c’est la même chose pour Conde.
Il lui reste l’amitié. Celle qui traverse les époques, résiste à tout...
LEONARDO PADURA. Sans ses amis, sans ces personnes avec qui il partage sa vie, Conde ne serait pas le même homme. Ils se retrouvent autour d’un rituel, celui du sentiment d’immortalité que procure l’amitié, un rituel vital à l’intérieur de ce cercle qu’ils se sont créé pour vivre et survivre. Cela correspond au sentiment grégaire qui nous singularise. Le Cubain vit en groupe. Chaque acte de sa vie participe de cette socialisation, c’est une pratique culturelle innée. Chez les adolescents, on peut y voir de la spontanéité. Ils se déplacent en groupe, font tout en groupe. Peut-être que Conde et sa bande sont restés d’éternels adolescents!
« L’art est pouvoir », écrivez-vous. Pouvoir ou contre-pouvoir?
LEONARDO PADURA Si on en a une lecture politique, il est un contre-pouvoir. Si on en a une lecture esthétique, humaine, il est pouvoir. L’art a le pouvoir d’attraper la vie, de créer la beauté, de la communiquer. Qu’un tableau du XVIe siècle soit admiré depuis sa création, c’est un sacré pouvoir, non?
Les artistes seraient-ils dangereux?
LEONARDO PADURA Non, ils sont nécessaires. Si l’art n’existait pas, il n’y aurait pas de civilisation. L’expression de l’esprit à travers l’art est l’un des grands buts de l’humanité et l’une des manifestations de civilisation. Une oeuvre d’art ne change pas le réel. Elle nous aide à l’appréhender, à le comprendre dans sa continuité historique.
Parlons de Cuba...
LEONARDO PADURA C’est un pays complexe, difficile d’expliquer. Il faut connaître sa réalité pour le comprendre. Et encore... Beaucoup de contrastes traversent les strates de la société. Depuis deux cents ans, depuis que Cuba est indépendante, la présence, l’importance, le rayonnement de la création artistique dépasse de loin la taille de l’île. Cuba a fourni des poètes, des écrivains, des peintres, des musiciens au monde entier. Je lis en ce moment les Rois du mambo d’Oscar Hijuelos. Je mesure l’apport de la présence des musiciens cubains à Paris dans les années trente. C’est passionnant. Ajoutez à cet environnement culturel fort un facteur politique majeur: Cuba est le seul pays de la région à avoir vécu une révolution. Qui dit révolution dit changement, passions en mouvement. Nous avons traversé une période de restrictions et nous ignorons quel sera notre futur. En 2018, Raul Castro devrait laisser le pouvoir. Qui va lui succéder ? Que va-t-il succéder?
Quel Cubain êtes-vous?
LEONARDO PADURA Je n’ai jamais été effleuré par l’idée d’immigrer, même quand je n’avais plus un sou en poche parce que j’appartiens à ce monde. Cela ne veut pas dire que je n’aime pas voyager... Je vis dans la maison où je suis né. Ma femme et moi vivons dans cette maison construite par mon père, dans ce même quartier de La Havane, Mantilla, où mon grand-père et mon arrière-grand-père vivaient. J’ai une relation passionnée avec cette géographie et ces personnes. J’ai la chance d’avoir été publié dans le monde entier, et à Cuba, bien sûr. D’avoir gagné des prix prestigieux, mais là où humainement je me retrouve, c’est ici, à Cuba. Je suis ce lieu et ce lieu est moi.
Vous avez la citoyenneté espagnole...
LEONARDO PADURA On me l’a offerte. J’ai la double nationalité. Mais je suis un indécrottable Cubain et je le resterai toujours.
L'Humanité : http://www.humanite.fr/leonardo-padura-je-suis-et-resterai-un-indecrottable-cubain-553567#sthash.SFih0Nb3.dpuf
16:48 Publié dans AL-Pays : Cuba, Culture, Livre  | Tags : leonardo padura,  cuba,  livre,  les hérétiques | Lien permanent  | Commentaires (0)  | 
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