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28/07/2014

L'ARGENTINE RECONNAIT LA PALESTINE

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La présidente argentine Cristina Kirchner a écrit à son homologue palestinien Mahmoud Abbas pour lui annoncer que son pays "reconnaît la Palestine comme un Etat libre et indépendant à l'intérieur des frontières de 1967", a annoncé lundi le chef de la diplomatie Hector Timerman.

Le Brésil a pris vendredi une décision identique et l'Uruguay devrait maintenant suivre, selon M. Timerman.

"La présidente Cristina Kirchner a remis ce jour au président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, une note l'informant que le gouvernement argentin reconnaît la Palestine comme un Etat libre et indépendant à l'intérieur des frontières de 1967", selon M. Timerman qui lisait une déclaration.

"Le gouvernement argentin partage avec ses partenaires du Mercosur, Brésil et Uruguay, que le moment est arrivé de reconnaître la Palestine comme un Etat libre et indépendant", a ajouté le ministre.

"Malgré les efforts réalisés, les objectifs fixés par la Conférence de paix de Madrid en 1991 et les Accords d'Oslo en 1993 n'ont pas été atteints, ce qui a été source d'une profonde frustration", a-t-il poursuivi, lisant toujours la déclaration du ministère des Affaires étrangères.

L'Argentine montre "à travers cette décision son profond intérêt de voir se produire une avancée définitive dans le processus de négociation qui conduise à l'établissement d'une paix juste et durable au Proche-Orient", a encore dit M. Timerman.

L'ambassadeur palestinien en Argentine, a immédiatement réagi en parlant de "jour de joie et d'enthousiasme".

"Reconnaître l'Etat palestinien en une réaction non-violente que la communauté internationale doit avoir en réponse à l'expansion et à la permanente construction de colonies israéliennes en territoire palestinien qui mettent en danger la solution basée sur deux Etats", a-t-il ajouté.

Le gouvernement palestinien "s'attend à ce que d'autres pays de la région se prononcent de manière similaire", a relevé l'ambassadeur.

Dans une lettre publiée vendredi par le ministère brésilien des Affaires étrangères, le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva informait M. Abbas que le Brésil reconnaissait un Etat palestinien dans "les frontières de 1967", c'est-à-dire les lignes d'armistice de 1949.

Selon la missive, publiée sur le site internet du ministère, cette reconnaissance répondait à une demande personnelle formulée par Mahmoud Abbas à Lula le 24 novembre.

Le ministère israélien des Affaires étrangères a exprimé samedi ses regrets et "sa déception" devant l'initiative de Lula.

"Toute tentative pour contourner" les négociations israélo-palestiniennes et "toute décision unilatérale" ne peuvent que "porter atteinte à la confiance et aux engagements pris de négocier dans un cadre convenu pour parvenir à la paix", a déclaré le ministère israélien.

Le Brésil avait tenté ces derniers temps de se présenter en médiateur dans le conflit israélo-palestinien.

Pendant la guerre des Six jours de juin 1967, Israël avait occupé Jérusalem-est et la Cisjordanie, le plateau syrien du Golan, la bande de Gaza et le Sinaï égyptien. L'Etat hébreu s'est retiré du Sinaï en 1982 et de la bande de Gaza en 2005.

Information diffusée par le Point

21/03/2014

Laura Alcoba, la plume française de l’Argentine

livres, france, littérature, argentine, salon du livre, laura alcobaL’auteur du « Bleu des abeilles » écrit en français, traduit de l’espagnol et elle est invitée au Salon comme écrivaine argentine.

Née en Argentine, Laura Alcoba arrive en France à l’âge de dix ans. Son père, opposant à la dictature des généraux, est emprisonné, sa mère a fui le pays avec elle. Elle fait ses études en France, puis enseigne à l’université de Nanterre. Manèges décrit la vie sous la dictature, tandis que le Bleu des abeilles raconte sa découverte de la France, l’apprentissage de la langue française et le bonheur qu’elle y a trouvé. Écrivant en français, Laura Alcoba est traductrice de l’espagnol et éditrice. Elle a donc un point de vue privilégié sur la littérature argentine et ses relations avec la France.

On dit beaucoup qu’il y a des relations particulières entre écrivains argentins et français.
Laura Alcoba : Il y a des liens historiques importants. La Mecque des écrivains argentins a longtemps été Paris. Y aller à dans les années cinquante, c’était faire un voyage initiatique. Beaucoup d’écrivains argentins ont fait le choix du français, Hector Bianciotti, Sivia Baron Supervielle. Paris est très présent dans la littérature latino américaine. « Marelle » est un roman parisien autant que latino américain.

La fascination est réciproque. Dans les années trente, Roger Caillois en témoignait.
Laura Alcoba : Son rôle a été très important. Sa revue, « La Croix du Sud » a fait connaitre aux Français de nombreux auteurs argentins, de la génération de Borges, Bioy Casares.

La littérature argentine passe pour un cas à part dans la littérature latino-américaine
Laura Alcoba : Elle a une image plus intellectuelle, plus froide, à mi-chemin entre la philosophie, l’essai et la poésie. C’est une littérature qui est moins marquée par le roman. Le boom latino est un âge d’or du roman, alors qu’en Argentine, jusqu’à une date récente, le genre noble était la nouvelle, le conte, la forme brève. Il y a encore de grands auteurs qui n’écrivent que des nouvelles. Là encore c’est l’empreinte forte de Borges, de Casares, et même de Cortázar, même s’il est aussi passé brillamment au roman.

On la voit comme un peu moins réaliste
Laura Alcoba : Avec un fantastique plus présent, mais plus cérébral que le « réalisme magique » du boom latino. Elles sont plus réflexives, la littérature s’y met plus en scène. C’est un mouvement engagé depuis longtemps par Borges, que poursuivent, différemment, des écrivains comme Rodrigo Fresán, un auteur très expérimental, dont les livres sont traversés par la question de l’écriture, de la création, la représentation de l’écrivain.

Et une réflexion sur les codes du genre.
Laura Alcoba : Oui, pour lui c’est la science-fiction et le fantastique, pour quelqu’un comme Cesar Aira, ce sera le conte pour enfant, avec les petites filles, les princesses…

On sent là l’influence de Borges, et la volonté de s’en libérer.
Laura Alcoba : Borges a fini par devenir un synonyme de littérature, avec ses thèmes, la bibliothèque, le labyrinthe, C’est une référence écrasante, et il est nécessaire de s’en dégager, sous peine de finir par penser qu’il a tout écrit, qu’on ne peut plus rien écrire après lui. C’est peut-être pour cela qu’émergent aujourd’hui des figures originales, très fortes. Rodrigo Fresán en est une, Ricardo Piglia aussi, ou Alan Pauls. Mais ce qui est caractéristique de la littérature argentine d’aujourd’hui, c’est la place prise par le roman. Et il y a parmi les nouveaux romanciers des voix singulières, comme celle de Selva Amada, dont j’ai traduit le premier roman, et qui n’est pas dans une attitude cérébrale et réflexive, mais dans une littérature d’ambiance, avec des personnages très forts, très construits, de vraies interactions, qui est très nouveau en Argentine. Et elle vient du Nord-est, et décrit une nature très différente de Bueños Aires ou de la Pampa. C’est très chaud, tropical, humide, et ce n’était pas jusque là dans le paysage littéraire argentin

Est-ce que ça veut dire qu’il y a une littérature de Bueños Aires et une autre ?
Laura Alcoba : Ce qui est certain, c’est que dans les nouvelles générations, beaucoup viennent d’ailleurs. L’Argentine est très vaste, et mal connue, et même pour un lecteur argentin c’est une découverte. Dans les années cinquante, la Pampa et la Patagonie étaient là, mais presque comme des concepts ou des références culture.

Un thème qu’on ne peut éluder, c’est celui de la dictature et de ses traces dans la mémoire aujourd’hui. Je pense en particulier au roman de Brizuela (1)
Laura Alcoba : Chez lui, comme chez beaucoup d’auteurs de sa génération, cette époque est devenue le point de départ d’une réflexion sur ce nous aurions fait, sur le courage et la lâcheté. Jusqu’où peut-on être lâche et a-t-on vraiment envie de le savoir ? Ce sont des questions qui dépassent le cadre historique argentin et qui pour cela intéressent des lecteurs de tous les pays. On arrive à des interrogations morales universelles. C’est pourquoi l’étiquette « littérature de la mémoire est très réductrice ».

Il y a une génération, peut-être plus jeune, totalement déconnectée de l’histoire, comme Pola Olaixarac
Laura Alcoba : C’est une romancière très forte, qui, comme Rodrigo Fresán, et Eduardo Berti, n’a pas été invitée. Il y a des oublis bizarres et une polémique est née sur ces questions. (2) Je fais partie de ceux qui entendent revenir sur les « oubliés »

Vous-même vous avez décidé d’écrire en français
Laura Alcoba : Ce n’est même pas une décision. Je suis en France depuis mon l’âge de dix ans, et la question s’est posée plutôt en Argentine quand a été traduit mon premier livre, « Manèges ». c’est un roman, mais j’avais travaillé sur des souvenirs d’enfance sous la dictature Ma mère et moi étions cachées dans une maison qui abritait une imprimerie clandestine. On s’est étonné du fait que j’aie pu écrire en français. Et je me suis posé cette question : pourquoi est-il si naturel d’écrire en français ? Pourquoi n’ai-je pu l’écrire qu’en français ? Et « Le bleu des abeilles » est peut-être une réponse à cette question. Je correspondais avec mon père, prisonnier politique, en espagnol. « Manèges » est très marqué par le silence. L’espagnol est une langue où j’ai appris à me taire, à avoir peur, l’entrée en langue française est une libération.

Vous êtes cependant invitée au salon en tant qu’ « écrivain argentin »
Laura Alcoba : Ce n’est pas la première fois. Ça s’était déjà produit à la foire de Francfort. Mais quand mon livre a ét, traduit en espagnol, sous le titre « La casa de los conejos » (« La maison des lapins ») il a été édité sous les couleurs de ceux en langue espagnole, et non des « traductions ». Quand je m’en suis étonnée, l’éditeur m’a répondu « c’est un livre argentin ». J’écris de la littérature argentine en français, voilà ce que je peux dire.

(1) « La nuit recommencée » (Seuil) L’Humanité du 6 février 2014
(2) Depuis la date de cet entretien, Ricardo Piglia a annoncé son intention de ne pas se rendre à Paris, en solidarité avec les écrivains écartés de la délégation.

  • Le Bleu des abeilles
    de Laura Alcoba.
    Gallimard, 128 pages, 15,90 euros.

Entretien réalisé par Alain Nicolas pour l'Humanité

14/03/2014

ARGENTINE : LE TEMPS DES TORTURES (exclusif) (4)

Joko, Martina Chavez, Argentine, prisonLes cellules

Elles étaient minuscules, elles ressemblaient à des tombes avec le murage des fenêtres. À notre arrivée elles avaient été murées, elles n’avaient pas de toilettes, ni d’eau, ce qui les obligeait à sortir une fois par jour pour laver les assiettes, ou pour aller aux toilettes pour y jeter nos excréments. Nous avions coutume d’appeler les gardiennes pour qu’elles nous fassent sortir pour aller aux toilettes, mais comme celles-ci n’y allaient pas nous finissions par faire nos besoins dans une boîte de Nestlé, ce qui laissait une odeur nauséabonde dans les cellules; nous étions ainsi exposées aux immondices et à n’importe quelle sorte de maladie, comme produit des conditions d’hygiène.

Dora et Poti

À Villa Gorriti, comme la petite fille pleurait beaucoup, la porte de la cellule de Dora restait ouverte « sur ordre du médecin » pour qu’on puisse la promener dans le couloir.

Quelques jours après le coup d’État Marina Vilte leur chanta un air très tendre ; la maman s’assura qu’il n’y avait aucune gardienne en vue, et se rapprocha aussitôt de la cellule de la chanteuse et à travers la petite fenêtre (de la porte) lui dit :

Écris-moi çà.

Que veux-tu que je t’écrive ?

Ce que tu es en train de chanter.

Comment veux-tu que je te l’écrive si je suis en train de l’inventer ?

La syndicaliste avait écouté la chanson lors d’un « asado » (sorte de barbecue argentin). Elle contait l’histoire d’un enfant conçu en prison ; elle se souvenait un peu de la musique et improvisait les paroles. Une strophe fut mémorable pour Dora : « J’ai une espérance / petite, toute petite /fruit de l’amour / d’un jour de visite ».

Poti resta enfermée avec nous jusqu’à pratiquement ses dix mois, jusqu’au jour de notre transfert à Villa Devoto. Lorsqu’ils la sortaient à l’extérieur de la prison elle pleurait beaucoup, car elle n’était pas habituée à voir des gens normaux. Lorsqu’elle revenait à la prison elle se calmait.

Le « mobilier » se composait d’un tabouret, quelques planches faisaient office de grabat, et un matelas malodorant chargé de l’histoire d’enfermements inhumains était notre endroit de repos. Un pichet et une assiette d’aluminium avec une cuillère tordue constituaient notre couvert, et puis la boîte de Nestlé.

Les sorties autorisées

Ils nous faisaient sortir individuellement, et seulement une fois par jour, pour laver notre boîte de conserve et jeter nos excréments, et de temps à autre prendre une douche. De même lorsqu’ils voulaient nous interroger et évaluer notre état psychologique, ou lorsque nous demandions un entretien pour savoir quel allait être notre sort.

Ils nous sortaient aussi de nos cellules sur la demande de Monseigneur Medina, qui était chargé d’informer les militaires du contenu de nos entretiens. Pour supporter l’enfermement nous demandâmes à pouvoir sortir chacune à notre tour pour nettoyer le couloir du pavillon. Ceci se convertit en un rituel quotidien ; le sol était usé à force de tant frotter et l’on pouvait s’y mirer de tant de propreté.

Une alimentation insuffisante

Pour annihiler toute résistance de notre part et nous détruire physiquement l’affaiblissement de notre état physique était une condition, et de ce fait ils pouvaient nous soumettre à de longues attentes durant lesquelles le plus important pour nous était de savoir comment faire passer les heures, jusqu’à l’arrivée des repas, qui étaient insuffisants, pauvres en protéines comme en quantité.

Je veux mettre en évidence dans cette partie de mon témoignage une expérience que mérite d’être retenue car elle reflète bien l’attitude non seulement de solidarité mais aussi de la lutte pour la vie. Dorita, pour être mère, avait une nourriture améliorer grâce à sa fille « Poti » Martina. Tous les jours, et par tour, nous était affectée une part de sa calebasse, de son beefsteak, ou de son verre de lait, qu’ils soient de « Poti » ou d’elle-même.

Consciente de ce que notre état physique s’affaiblissait chaque jour un peu plus, et que nous devions survivre, elle partageait ce qui était destiné à lui donner plus de lait, étant donné qu’elle donnait le sein à sa petite fille. Elle ne partageait pas seulement sa nourriture mais aussi certains de ses « privilèges ». Par le fait d’être mère, la porte de sa cellule restait plus longtemps ouverte. Dorita acceptait qu’ils l’enferment pour que nous puissions sortir à promener « Poti » dans nos bras dans le couloir. Grâce à « Poti » et à Dorita nous pûmes voir le jour plus qu’il n’était habituel. Elles ritualisèrent notre espace-temps en donnant la possibilité de voir le ciel et de toucher le soleil avec nos mains dans cet enfer.

La nourriture se composait comme suit :

Petit-déjeuner : maté avec du lait dilué dans de l’eau, peu de sucre, pain dur et vieux et petite quantité.

Repas de midi : constitué à base de pommes de terre, pâtes et quelques morceaux de viande qui nageaient dans le bouillon trouble de la soupe ou du ragoût. La sensation de faim était constante et nous attendions avec impatience l’heure du repas.

Le « quatre-heures » : un autre maté dilué, avec un simple bout de pain.

Le souper : soupes ou ragoûts de jour en jour plus pauvres et en quantités plus petites.

Lorsque venait la nuit nous nous ingénions pour converser au travers des murs en langage Morse. Ou, moi, me racontant à moi-même des histoires dans lesquelles je n’étais jamais le personnage principal. C’était le moment d’établir le bilan de la journée, et il me semblait que tout cela n’allait jamais se terminer. Les questions se bousculaient inexorables dans mon esprit : Pourquoi suis-je en vie ? Pourquoi sommes-nous vivantes ? Jusqu’à quand resterai-je ici ? Comme est lente l’agonie…

Mars 1976, jour du coup d’état militaire

Le jour du coup d’état militaire nous nous réveillâmes avec la marche militaire que les prisonniers sociaux nous faisaient écouter à la radio, à travers leurs fenêtres. Il était cinq ou six heures du matin. Immédiatement entra l’adjoint du responsable du pénitencier, Néstor Eusebio Singh, et il dit à haute voix :

« Ici s’est terminé ce qui se préparait. Maintenant vous allez savoir ce qui est bon. Les privilèges, C'est fini ! ». Ces mots laissèrent les femmes dans l’expectative (Reynaldo CASTRO, 2004 : 72).

Peu de temps après nous entendîmes des bruits de grilles. Par les ouvertures des portes nous vîmes qu’ils amenaient des compagnes. Parmi elles, arrive Marina Vilte, de San Salvador, une syndicaliste des maîtres d’école très engagée. Tout au long de ma détention, à des heures déterminées elle chantait des couplets qui s’entendaient dans tout le pavillon. Sara Murad affirma que ces strophes « décidées » redonnaient courage et remplissait la prison de joie : « Bien qu’étant derrière les barreaux, nous continuions à rire » (Reynaldo CASTRO 2004 : 75). Arriva aussi Olga Demitrópulos de Ledesma, et quelques personnes du gouvernement d’Isabel de Perón.

Quelques mois plus tard arriveront Dominga Álvarez, Alicia Ranzoni, Juana Torres, et Eulogia Cordero de Garnica. Ces compagnes arrivèrent après avoir été torturées, et malades, et elles étaient déjà passées par les mains assassines de Braga, Jaig et d’autres témoins de ces atrocités qui aujourd’hui restent impunis et n’ont pas encore parlé. Juana Torres nous raconta que son frère était prisonnier.

Elles restèrent tout le temps isolées, dasn des cellules individuelles comme nous autres. Nous ne parvîmnes pas tout de suite à communiquer avec elles. Je ne sais pas dans quelles circonstances elles nous racontèrent qu’ils les torturaient et qu’ils leur avait annoncé qu’elles étaient condamnées à mort. Nous avons en vain tenté d’alerter leurs familles que leurs vies étaient en danger. La mise au secret était telle que nous n’y sommes pas parvenu. À nous autres ils nous entassent par trois par cellule, du fait qu’ils préparaient l’espace pour d’éventuelles détentions.

Ils venaient chercher ces compagnes systématiquement pour ce que les bourreaux appelaient « aller en commission » (salir en comisión). Elles étaient amenées à des centres de détention clandestins comme « Guerrero » ou au RIM 20.

Il s’agit en réalité d’interrogatoires sous la torture, physique comme psychologique. Chaque fois qu’ils venaient les chercher elles sortaient en silence, sans pleurs, sans aucune expression de peur. Elles assumèrent totalement leur condition de combattantes face aux injustices, et non montré aucune faille fasse à leurs assassins. Lorsqu’elles revenaient des « commissions » elles portaient des marques évidentes de tortures, hématomes sur tout le corps du fait des coups reçus. Jamais elles ne se plaignirent.

Alicia Ranzoni avait le tympan crevé : Ils lui avaient appliqué ce qu’en jargon militaire ils nommaient « le téléphone » ; il consistait à frapper simultanément avec les paumes de la main les deux oreilles. Juana Torres aussi apparaissait chaque jour plus faible, tout comme Dominga Álvarez.

Un jour ils vinrent les chercher toutes les trois, ils les firent sortirent du pénitencier. Cette fois elles n’vaient pas les yeux bandés. C’était le signe qu’ils allaient les faire disparaître. Ce jour-là les compagnes pressentaient qu’elles ne reviendraient plus. Elles nous avaient dit qu’elles se sentaient menacées de mort. Ce jour-là nous les entendîmes pratiquement pas, et dans le pavillon aussi on n’entendait aucun bruit.

Je ne sais si ce fut par erreur ou si cela avait été intentionnellement, Juana Torres se trouvait dans notre cellule. Elle nous dit : cette nuit ils viennent aussi nous chercher. En voyant son état de santé et le froid qu’il faisait, Gladis lui donna sa veste pour qu’elle se protège du froid. Je suppose qu’elle pressentait ce qui allait se passer, car elle ôta sa chaîne, elle nous la remit en disant : pour que vous la remettiez à ma fille lorsqu’elle sera grande.

Mais je ne me souviens plus si Juana la donna à Gladis ou à moi ; mais le jour que nous arrivâmes à la prison de Villa Devoto, à Buenos Aires, Cette chaînette était à mon cou et les gardiennes me l’ôtèrent durant la fouille. Le jour qu’ils m’expulsèrent du pays je la réclamai avec l’espoir de la récupérer, mais ils me dirent qu’elle avait disparu et qu’ils ne l’avaient plus (CHÁVEZ M, 2004 : 12).

Quand ils vinrent les chercher le silence était si pesant que Jusqu’aux murs et aux grilles s’étaient tus comme en un ultime adieu. Bien que ne les ayant pas connues depuis longtemps restent présents en ma mémoire ces quelques instants partagés, leurs sourires et leurs regards fermes, et la conviction qu’elles ne sont pas mortes en vain. Nous pressentions aussi qu’en ce moment se décidaient aussi nos vies.

Cette nuit-là je n’ai pas pu dormir, mais le jour suivant nous devions continuer comme si de rien n’était malgré la tristesse qui se lisait sur nos visages. Nous ne les revîmes plus jamais. Malgré tout nous nous afférâmes à réclamer de leurs nouvelles. Toutes sortes d’hypothèses circulaient à l’intérieur de la prison au sujet de leur disparition. Un jour ils nous disaient qu’ils les avaient emmenées à Salta pour écouter leur déclaration dans un procès, d’autres fois à Tucumán, et d’autres qu’ils les avaient retrouvées mortes lors d’un affrontement armé.

Entre-temps Marina Vilte, que fut secrétaire générale du syndicat enseignant (ADEP) et l’une des fondatrices de CTERA (syndicat qui réunit les maîtres d’école au niveau national), avait été libérée. Ensuite nous parvint la nouvelle qu’elle avait été séquestrée et qu’elle avait disparu. Personne ne pouvait imaginer à quel point entre ces murs on soumettait, on humiliait, on terrorisait…

Joko, Martina Chavez, Argentine, prisonCes compagnes font aujourd’hui partie de la longue liste des disparus et figuent dans le témoignage que je fis parvenir à Genève après ma libération vers l’exil en France.

Le rôle de l’Église et sa complicité avec le Troisième Corps de l’Armée de terre durant les années de la dictature

Le rôle de la hiérarchie catholique argentine, qui à Jujuy était représentée par Monseigneur Medina, évêque de Jujuy, et ses subordonnés qui se firent remarquer par ces actes, mérite d’être mentionné avec une particulière attention. Il était au courant de toutes les décisions prises concernant la vie des prisonniers politiques et de ceux qui par la suite on faisait disparaître. Non seulement il appuya spirituellement les militaires par son attitude mais aussi la répression, la détention illégale, les tortures et les disparitions forcées.

Medina avait entrée libre au pénitencier de Villa Gorriti. Il s’y rendait avec la claire intention de mener les interrogatoires pour nous contraindre à nous confesser, et nous incitait à l’autodénonciation. Il interrogea les compagnes qui avaient été torturées et qui ensuite disparaissaient. De par ses actions et depuis son investiture il défendit, dans la prison, le plan avoué des militaires de nous isoler, de nous soumettre, de nous rendre folles ou de nous tuer physiquement et psychologiquement. Sous les ordres de Benjamín Menéndez, que commandait le Troisième Corps d’Armée, il offrait ses rapports sur la conduite des prisonnières et prisonniers politiques. Un jour il vient me voir et me demanda si j’avais quelque chose à confesser : « Confesse, ma fille, si tu n’as rien à te reprocher confesse ». Cette complicité de la part de l’Église envers le projet civico-militaire à Jujuy fut représentée par son plus haut responsable, Monseigneur Medina, qui mourut sans avoir été jugé pour ces actes.

Transfert au pénitencier de Villa Devoto (Buenos Aires)

Un matin je me réveille en sursaut, j’entends des bruits de bottes suivis de coups violents contre les portes : c’était un commando militaire. Je commençai à écouter les cris de certaines compagnes, qui parvenaient des premières cellules du pavillon ; ensuite des cris sur ma droite. Je me souviens que je me suis levée immédiatement que je me suis vêtue, mettant plusieurs vêtements les uns au-dessus des autres, au cas où. Et aussi parce que le pire était de se retrouver nue face à eux. Nous sentions qu’il se préparait quelque chose. Après ce que nous avions vécu avec les compagnes disparues nous avions peur pour nos vies, et j’ai pensé que c’était notre tour.

Ils pénètrent dans les cellules par surprise, violemment, et nous ordonnent de préparer nos affaires. Ce fut le moment durant lequel j’ai le plus pensé aux trois compagnes qui plus jamais n’étaient revenues. Ils ouvrent la porte de ma cellule, me lient les mains avec de grosses lanières très serrées, comme si nous eussions encore pu faire quelque chose, avec tout ce que nous avions vécu.

Ils nous font immédiatement mettre en rang sans nous dire où ils nous emmenaient. Par un instinct de survie je demande à une des gardiennes si elle était au courant de ce qui allait nous arriver. Elle répond négativement. Je me retourne et vois Dorita accrochée à son bébé « Poti ». En pleurant je lui dis : S’ils nous tuent qu’adviendra-t-il de « Poti » ? Et Dorita n’émet ni un son. Je vois qu’elle tente de parler à quelqu’un qu’on lui dit quelque chose, je ne sais s’il s’agissait d’un militaire ou d’une gardienne. Il m’a semblé qu’elle voulait donner sa fille pour la protéger, avant qu’ils ne nous transfèrent.

Nous étions convaincues, du moins je l’étais, que cette fois nous n’en sortirions pas vivantes. Comme toujours, ils avaient déployé un arsenal un arsenal guerrier disproportionné pour cette opération, terrorisant non seulement les prisonnières mais également à la population alentour. Ils avaient également vidé de ses occupants l’aile du pavillon des prisonniers sociaux qui donnait de notre côté, et qui occasionnellement nous servait de lien avec les prisonniers politiques. Ils ne voulaient pas de témoins de ce qui se passait. La gardienne avec qui nous avions de bons rapports n’était pas là ce jour-là. Ils lui en avaient substitué une autre que correspondait mieux à leurs projets. Ils nous font sortir et nous font monter en nous poussant dans les camions de l’armée. Ils nous mettent deux par cage (calabozo). Nous étions très serrées. Je me retrouvai avec une compagne qui était à demi décomposée et qui commença à vomir. Elle ne contrôlait absolument plus rien et déféqua à mes côtés.

C’est ainsi que nous sortîmes pratiquement toutes. Nous sûmes que les compagnons allaient aussi être transférés et qu’ils étaient dans un autre camion. Durant le trajet nous tentâmes d’entrer en communication avec un soldat pour qu’ils nous disent où ils nous emmenaient. Il ne répondit pas immédiatement. Ensuite, mettant à profit le fait que ses chefs étaient éloignés, il nous dit : « Vous allez à l’aéroport.

Un des militaires nous entend et nous crie : « Taisez-vous ou vous terminerez avec une balle dans la tête ». Mais la peur était plus forte et nous ne pouvions nous taire. Rien n’était sûr mais je me suis raccrochée à cette éventualité. Au court du trajet vers l’aéroport les fourgons militaires s’arrêtent, je ne sais pour quelle raison, et dans ma tête défilent les images des compagnons courant dans un lieu à découvert, et ensuite fusillés a bout portant.

Nous arrivons à l’aéroport. Ils nous font descendre et nous hissent à bord de l’avion militaire. Jusqu’à cet instant je ne savais pas que nous allions nous retrouver au pénitencier de Villa Devoto. Ce régime de sécurité maximale et hautement militarisé serait interrompu le jour de notre second transfert, cette fois à la prison de Villa Devoto.

Ce même jour ils avaient séparés les compagnons qui allaient vivre de ceux qui allaient disparaître ; et en décembre ceux qui allaient sortir en liberté. Le jour du transfert à Buenos Aires ils emportent le même jour les hommes à La Plata et les femmes à Villa Devoto.

Conclusion

Ce qui a été vécu dans le pénitencier de Villa Gorriti fit partie d’un projet militaire qui avait pour objectif d’anéantir les prisonniers politiques qui avaient survécu et faire disparaître les autres. Après le coup d’état tous les pouvoirs étaient sous commandement militaire.

À Jujuy le colonel Carlos Néstor Bulacios était en charge du gouvernement. Les tortionnaires et exécuteurs sont Jaig et Braga, et tous ceux qui participèrent aux tortures dans le but de nous rendre fous, de nous soumettre, et ainsi nous détruire, et qui eux Vivent tranquilles en quelque lieu jouissant d’une totale impunité sans avoir été jugés et sans avoir répondu de leurs crimes.

joko,martina chavez,argentine,prisonJ’ai témoigné par écrit de tous ces faits à mon arrivée en exil en France devant des organismes de défense des droits de l’homme français et internationaux. Aujourd’hui je continue dans mon exil à expliquer ce qui s’est passé durant cette période. Je présente ici une partie de ce travail, pour semer le futur.

Le schéma ici établi nous montre qu’il s’est agi d’un système politique raisonné et planifié.

Bibliografía

CASTRO, Reynaldo (2004). Con vida los llevaron : Memorias de madres y familiares de detenidos-desaparecidos de San Salvador de Jujuy. Buenos Aires : La Rosa Blindada,.

ZIGARÁN, María Inés (2004). “Juicio por la verdad, Reconstrucción de la verdad histórica”. Nadie olvida nada : Revista de memorias, Año I Número 1, San Salvador de Jujuy, junio de 2004, pp.23.

CHÁVEZ, Martina (2004). “Memorias de una ex presa política”. Nadie olvida nada : Revista de memorias, Año I, Número 3, San Salvador de Jujuy, noviembre-diciembre de 2004, pp. 11-12.

PAREJO, Raphaël (1996). Du grand soir révolutionnaire à l’exil, Parole et Mémoire de militants politiques argentins exilés. Mémoire de Diplôme des Hautes Etudes des Pratiques Sociales. Paris : Université Rennes 2 – Collège Coopératif de Paris. Tome 2 : annexes B et C, p. 188.

CHÁVEZ, Martina (2002). Les racines du mûrier : Parcours d’une famille d’origine amérindienne de la région de El Ramal (Jujuy, Argentine). Mémoire du Diplôme d'Études Supérieures Spécialisées en Ethnologie et Ethnométhodologie. Paris : Université Paris 7 – Denis Diderot, Département d’Ethnologie.

Marina Vilte était une syndicaliste reconnue du syndicat CETERA, elle fut libérée et quelques mois après ils la font disparaître.

J’ai choisi cette formulation pour me référer à elles, car je considère qu’elles sont le fruit des injustices sociales dans notre pays. Prisonnière de droit commun me paraît péjoratif.

María Inés Zigarán, Nadie olvida nada – Revista de memorias, Año I, Número 1, San Salvador de Jujuy, juin 2004.

Centre d’instruction militaire pour l’ensemble des Amériques, sous commandement des États-Unis.

Témoignage d’une ex-prisonnière politique à la CONADEP.

 

12/03/2014

ARGENTINE : LE TEMPS DES TORTURES (exclusif) (3)

Joko, Martina Chavez, prisonnière, tortureUn système hautement militarisé et basé sur la terreur

À l’arrivée au pénitencier de Villa Gorriti la majorité d’entre nous n’était pas sous le coup d’une accusation formelle, ni n’avait aucun procès judiciaire en cours, étant seulement mises à disposition du PEN, le Pouvoir Éxécutif National militaire (Poder Ejecutivo Nacional), par la sécurité de l’État.

La première mesure prise par les militaires sera de nous maintenir isolées dans une totale mise au secret. En effet, avec le coup d’état militaire, le 24 mars 1976, l’objectif principal sera d’instaurer un système basé sur la terreur, dans le but d’anéantir physiquement et mentalement les prisonniers et prisonnières politiques, en faisant régner la terreur entre ceux d’entre nous qui jusqu’alors avions survécu.

Le personnel pénitentiaire était constitué d’employés recrutés au sein même du service pénitentiaire et au sein de la Gendarmerie. Le service d’intelligence militaire provenait lui des officiers des services secrets fédéraux. Tous les secteurs de la sécurité étaient passés au service de la répression et participèrent au projet militaire.

Système d’isolement

Le régime de « dangerosité maximale » consista à mettre en pratique une politique d’isolement absolu, d’isolement total de l’extérieur comme entre nous autres à l’intérieur de la prison : ceci car se préparait le coup d’état militaire. Seront suspendues les récréations quotidiennes, les visites des membres de la famille, la correspondance.

On interdit l’entrée des journaux, de livres et de n’importe quel autre élément qui aurait pu nous aider à supporter l’isolement et comprendre ce qui était en train de se préparer. On interdit tout contact entre nous, toute fonction sociale en relation avec la vie : parler, rire, chanter, écrire, partager un maté, crier, pleurer, l’hygiène et la propreté personnelle. Est interdite toute activité manuelle.

Ils nous disaient constamment : « vous êtes vivantes mais vous sortirez folles d’ici ». Les premiers jours de notre arrivée au pénitencier de Villa Gorriti, une gardienne nous donnait la permission de prendre des moments de récréation pour que nous puissions parler dans la petite cour intérieure, mais ce « privilège » fut de courte durée. De temps en temps ils nous faisaient sortir une heure et nous distribuaient aux extrémités de la cour sans nous permettre de nous parler.

Une politique basée sur la terreur et la destruction psychologique et physique

À l’intérieur de la prison régnait un système d’insécurité permanente à cause des fouilles et des entrées par surprise dans nos cellules, qui avaient pour but de nous briser en tant que groupe social d’opposants politiques.

À peine étions-nous arrivées que les autorités du pénitencier nous dirent : « À partir de maintenant nous vous garantissons plus votre intégrité physique ; vous restez à disposition des autorités militaires ». En sus d’aller chercher des compagnons pour les fusiller, nous furent appliquées toutes sortes de tortures psychologiques, privations d’aliments et d’hygiène, et il régna un absolu abandon médical.

Tout ceci fut appliqué de manière constante. Seules quelques gardiennes avec lesquelles nous étions parvenues à établir une relation plus humaine, nous octroyaient la possibilité de nous rassembler et parler de temps à autre, avec la peur permanente que ce « privilège » ne se perde, à tel point que nous en vînmes à protéger ces gardiennes. Lorsque nous entendions les bruits métalliques nous nous enfermions, nous sortions le bras par la partie supérieure de la porte qui était munie de barreaux, et mettions nous-même le cadenas.

Nos bras s’en étaient allongés. D’une certaine manière nous mettions à profit l’ignorance du personnel pénitentiaire qui ne comprenait pas ce que représentait réellement le projet militaire.

Un système d’insécurité permanente

Le calme apparent et organisé qui avait régné dans la prison du Bon Pasteur fut remplacé à Villa Gorriti par les bruits métalliques des grilles, des cadenas, les allées et venues incessantes des bottes. Peu de temps après notre arrivée au pénitencier surgit un commando proférant des menaces et des insultes, ils nous font sortir des cellules les mains au dos, et avec l’ordre absolu de ne pas regarder ni parler, car ils avaient soi-disant découvert une cache d’armes dans la cour de notre pavillon.

Ils nous sortent de nos cellules, nous mettent dans l’autre aile du pavillon, dans des cellules individuelles et totalement vides, et nous sommes restées là jusqu’à la fin de l’opération. Ce jour-là la petite cour qui de temps à autre nous servait de récréation et de lieu de contact avec les prisonniers de droit commun se retrouva sens dessus dessous, retournée avec pics et pelles, les jeunes soldats retournèrent complètement la terre. Je n’ai jamais su ce qu’ils cherchaient.

À priori ils cherchaient des armes, car quelqu’un avait fait courir le bruit que se préparait une évasion. ¿Cela pouvait-il servir de prétexte pour nous apeurer encore plus ou nous appliquer la « loi de fuite ?» Je n’ai jamais réellement su quel fut le vrai motif de toute cette opération.

Une nuit pénètre par surprise un groupe de militaires disposé à nous terroriser, renversant tout sur son passage, nous menaçant. Ils nous contraignent à sortir de nos cellules les mains au dos, nous poussent, nous donnent l’ordre de nous jeter au sol sur le ventre, ils nous recouvrent avec des couvertures pour que nous ne puissions voir les visages de ceux qui étaient là.

Nous sommes restées ainsi tout le temps qu’ils mirent à fouiller nos effets, si bien qu’à la fin rien n’était plus à sa place. Comme nous étions au sol ils nous piétinèrent, nous insultèrent, le vacarme de cette barbarie nous rendit muettes. Las planches qui nous servaient de lit étaient retournées, les matelas éventrés. Après cet épisode tout n’était que désolation, notre espace avait de nouveau été détruit et suspendu dans le temps.

Ces opérations ne duraient pas longtemps mais pour nous qui étions entre leurs griffes, elles nous paraissaient une éternité. Le maté gisait éparpillé sur le sol, nos dessous exposés sur la voie publique… Et de cette façon aussi notre propre intimité. Ils arrivaient pour nous terroriser et nous déposséder de notre identité.

Méthodes de contrôle

L’une des méthodes de contrôle était les fouilles comme ce que j’ai décrit plus haut. Elles se faisaient par surprise et dans un climat de peur, de jour comme de nuit, avec comme but de terroriser chaque fois plus et de détruire l’espace que, à force d’imagination, nous avions réorganisé après la fouille précédente. Contrôler et perturber le cycle du sommeil allait de pair avec le déséquilibre émotionnel, qui était déjà assez fragile avec les entrées par surprise, les transferts, les nouvelles de d’exécution par fusillade de compagnons d’autres prisons et l’incertitude de ne rien savoir sur nos vies.

Vivrons-nous ? Allons-nous mourir ? Ces questions s’entremêlaient dans nos esprits déjà épuisés de tant avoir à supporter. Chacun de nos actes était soumis à l’observation systématisée des propres services de renseignement ou des gardiennes de service. Pour cela ils utilisaient le rapport quotidien à chaque relève de quart, dans lequel ils consignaient non seulement notre comportement mais aussi tout incident qui pouvait se produire du fait de notre enfermement. Lors de cette période il y eut différentes tentatives de suicide et de crises de nerfs comme produit de l’enfermement et de l’incertitude.

Nous ne recevions plus de lettres de nos familles ni aucune nouvelle de l’extérieur qui eussent pu nous permettre d’avoir une idée de ce qui allait advenir de nos vies. L’isolement était absolu et nous commençâmes à sombrer dans le désespoir. Comme toute expression d’affection entre nous autres était sanctionnée, nous devions supporter dans la solitude notre incertitude. Ainsi s’accomplissait au pied de la lettre le projet d’extermination que le Plan Condor avait programmé dans le Cône Sud.

A suivre.....