30/05/2016
ENTRETIEN AVEC DILMA ROUSSEFF
Brésil : Il est très rare de trouver une interview de Dilma Rousseff en français. Je publie donc les propos qu'elle a exprimés le 19 mai dernier à RT.
L'opinion publique française a le droit de savoir ce qu'il se passe au Brésil. Présidente du groupe interparlementaire d'amitié France-Brésil, je m'engage contre le Coup d'Etat et pour la solidarité internationale.
Laurence COHEN, sénatrice PCF du Val de Marne
RT : Vous êtes désormais au palais Alvorada et d’une certaine façon bannie dans votre propre pays. Comment vous sentez-vous moralement ?
DILMA ROUSSEFF : Je suis assez positive. Je continue de me battre non pas juste pour conserver mon poste de présidente, mais surtout pour la démocratie dans mon pays. Honnêtement, je n’ai pas l’intention de rester cloîtrée dans ma résidence officielle – le palais Alvorada. Je veux me rendre dans beaucoup de villes au Brésil, discuter avec le peuple, rencontrer beaucoup de gens. Cela va me permettre de dire aux Brésiliens, et peut-être même au monde entier, ce qu’il se passe réellement dans ce pays, et que nous allons nous battre contre ce que nous considérons être une tentative de coup d’Etat.
RT : Cela n’est-il pas, dans le fond, un coup d’Etat fantôme, «froid», puisque sans armes ? Selon vous, dans quelle mesure cet acte vous cible personnellement, et dans quelle mesure cible-t-il non seulement le pays, mais aussi ses alliés, notamment les BRICS ?
DILMA ROUSSEFF : D’après moi, c’est le processus de destitution, de ma mise à l’écart. La destitution est prévue par la constitution de notre pays uniquement si le Président enfreint la Constitution et ne respecte pas les droits de l’Homme. D’après moi et mes soutiens, il s’agit là d’un coup d’Etat puisque la Constitution n’a pas été enfreinte. Ils me poursuivent en justice pour mes actions, pour des «crédits» supplémentaires accordés au budget, mais tous les présidents avant moi l’ont fait. Ça n’a jamais été un crime et ça n’en devient pas un maintenant. Il n’y a rien qui permette de dire que c’est un crime. Pour parler de crime, il faut que ce terme soit défini par la loi. C’est pourquoi mes soutiens et moi-même considérons que cette destitution est un coup d’Etat dans la mesure où la Constitution précise très clairement les conditions pour destituer le Président : un abus de pouvoir, une violation à la constitution ou aux droits de l’Homme. Les actions prises en compte dans ce procès n’ont strictement rien à voir avec de tels crimes.
En outre, le Brésil est une république présidentielle. C’est pourquoi le Président ne peut être destitué pour des motivations politiques, en raison du fait que l’on ne fait pas confiance au Président de la République. Une initiative a été lancée pour changer de programme politique – qui comprend notamment la sphère sociale et le développement économique – afin de faire face à la crise que le Brésil a connu ces dernières années et adopter un nouveau programme, à l’évidence néo-libéral.
Ce programme prévoit, entre autres, la réduction de nos programmes sociaux à leur minimum, selon la doctrine d’«intervention minimale de l’Etat». Une doctrine qui va à l’encontre de toutes les lois brésiliennes sur les services publics, notamment la santé, le droit au logement, l’accès gratuit à une éducation de qualité, le salaire minimum, tout ce qui est garanti aux plus démunis au Brésil. Ils veulent en finir avec ces droits et en même temps ils mènent une politique antinationale – notamment en ce qui concerne les ressources en pétrole du pays.
D’importantes réserves de pétrole ont été découvertes au Brésil à 7 000 mètres de profondeur sous des couches antésalifères. Les ministres disaient que l’accès à ces réserves était impossible. Mais aujourd’hui on extrait des millions de barils de pétrole par jour de réserves se trouvant sous des couches antésalifères. Ils ont évidemment dit ça dans le but de changer la législation pour garantir l’accès à ces puits de pétrole à diverses compagnies pétrolières internationales. De plus, en ce qui concerne la politique étrangère, nous – l’ancien président Lula da Silva et moi-même – avons œuvré pour le renforcement des relations avec les autres pays d’Amérique latine, d’Afrique, les BRICS, mais également avec d’autres pays en développement – en plus bien sûr des relations avec les Etats-Unis et l’Europe. Je pense que le groupe des BRICS est l’une des alliances multilatérales les plus importantes du monde de ces 10 dernières années. Mais le gouvernement par intérim actuel ne partage ni notre vision des BRICS ni l’importance que nous accordons à l’Amérique latine. Ils parlent même de fermer nos ambassades dans les pays d’Afrique.
RT : Le nouveau gouvernement du président par intérim, que seuls 2% des Brésiliens soutiennent et qui pourrait être destitué lui-même au vu de certaines informations, est constitué exclusivement d’hommes de race blanche, dans un pays multiculturel, avec des ministres qui font l’objet d’enquêtes pour corruption… Jusqu’à quel point ce gouvernement est-il légal ?
DILMA ROUSSEFF : Il n’y a aucune légitimité tout d’abord à cause du péché originel qui est le processus de chantage. Le représentant de la Chambre des députés [Eduardo Cunha, désormais destitué de ses fonctions], qui a initié ce processus, est accusé de posséder des comptes à l’étranger, de corruption, de blanchiment d’argent. Evidemment, ce processus répand la peste sur la démocratie brésilienne et détruit tout le dispositif gouvernemental que nous avions.
Je ne l’ai pas nommé vice-président ou chef provisoire du gouvernement pour qu’il forme un nouveau gouvernement composé uniquement d’hommes blancs, sans aucune femme ni de personne d’origine africaine. Une autre caractéristique de ce gouvernement est qu’il adopte une mesure mais la change le lendemain : étant donné que ce n’est pas un gouvernement qui a été élu par le peuple, il n’a pas de programme législatif. Il n’a pas présenté son programme lors des élections, n’a pas participé aux débats. Ce programme n’a pas été approuvé par la population. C’est pourquoi le gouvernement raconte n’importe quoi.
Il dit par exemple qu’il faut détruire toute une partie du système unique de santé publique brésilien. Ce système garantit, selon la constitution de 1988, la gratuité et l’universalité des soins à la population. Le gouvernement provisoire veut réduire l’importance de ce système, en transmettant une partie des services apportés à la population au secteur privé. Le gouvernement crée de tels conflits pour observer la réaction de la société et 24h plus tard change de position. Mais il pourra difficilement cacher que leur tendance, et en général leur but, consiste à adopter un programme aussi néo-libéral que possible face à la situation actuelle au Brésil. Je suis convaincue qu’une énorme partie de la population brésilienne me soutient
RT : Y a-t-il une chance que vous retrouviez votre poste de présidente du Brésil ?
DILMA ROUSSEFF : Je vais vous dire la chose suivante : je vais me battre chaque jour, chaque minute, chaque moment de ma vie pour que cela arrive. Et je suis convaincue qu’une énorme partie de la population brésilienne me soutient.
12:39 Publié dans Actualités, AL-Pays : Brésil, AL-Pays : Brésil CNI, Politique | Tags : dilma roussef, brésil, entretien | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook | | |
04/05/2014
Olga Gonzalez « En Amérique latine, la pauvreté a le visage d’une femme »
Chercheuse associée à l’unité de recherche migrations et société (Urmis) de l’université Paris-Diderot, la sociologue est active au sein du groupe Aquelarre, dédié à la solidarité avec les femmes colombiennes.
Quelle est la situation sociale des femmes en Amérique latine ?
Olga Gonzalez. C’est une situation hétérogène selon les pays. Le temps de travail des femmes est important. Elles ont beaucoup d’activités mal ou non rémunérées. C’est là l’une des caractéristiques qui leur est commune. La spécificité du continent est qu’il est très inégalitaire.
Considérées comme « naturelles », la pauvreté et l’exclusion confinent de nombreuses femmes à des activités spécifiques, comme les services domestiques. Il existe très peu d’organisations sociales et collectives dans ces secteurs. Il est donc difficile d’y faire respecter les droits des salariées. Dans la majorité des pays, le travail informel est très répandu et le taux de syndicalisation faible. De ce fait, les femmes sont très vulnérables. Dans le monde rural, la pauvreté a le visage d’une femme, souvent indienne. Il existe des lois sur l’égalité salariale, mais cette égalité reste formelle.
Peut-on parler de progrès en matière de droits à la contraception et à l’IVG ?
Olga Gonzalez. Dans les campagnes colombiennes, l’accès à la pilule est restreint. C’est vrai dans d’autres pays où le machisme reste prégnant. Une femme qui assume sa contraception est mal vue. Quant au droit à l’IVG, il est exceptionnel puisqu’il n’est reconnu qu’à Cuba, en Uruguay et dans la ville de Mexico. Il est parfois autorisé en cas de viol, de malformation du fœtus ou de danger pour la santé de la mère mais son accès est difficile.
Le continent détient des records de grossesses d’adolescentes. En Colombie, 52 % des grossesses n’ont pas été désirées. Des centaines de milliers de femmes avortent chaque année via des réseaux clandestins, dans de mauvaises conditions d’hygiène, avec un coût très élevé. Elles prennent également des médicaments comme le Misoprostol qui provoque des avortements. C’est une grande hypocrisie. Le poids de l’Église entrave toute avancée. Certaines féministes ont d’ailleurs renoncé à ce combat.
Pourquoi l’Amérique latine détient-elle le record du nombre de féminicides, notamment en Amérique centrale ?
Olga Gonzalez. On relève les taux de féminicides les plus hauts au Guatemala, en Colombie, au Salvador et au Honduras. Ces assassinats sont nombreux là où la violence est répandue. L’Amérique latine est le continent le plus violent au monde. Les féminicides sont liés à l’existence de mafias qui prospèrent là où le tissu social est brisé, là où le capitalisme a fait des ravages. Dans ce contexte, les homicides explosent et les féminicides aussi, notamment lorsqu’il y a compétition entre les mafias. C’est ce que l’on observe dans certains États du nord du Mexique. On retrouve cette configuration en Colombie ou au Guatemala, pays déstructurés à cause des ravages de la guerre civile.
L’avènement de gouvernements de gauche et de centre gauche a-t-il permis des avancées pour les femmes ?
Olga Gonzalez. Concernant les droits reproductifs, il n’y a eu aucune avancée. Le droit à l’IVG n’existe pas en Équateur, en Bolivie, au Venezuela ou encore en Argentine, pays pourtant présidée par une femme. Au Brésil, la présidente Dilma Rousseff y était favorable mais depuis, elle s’est tue. Au Salvador et au Nicaragua, il y a même eu des reculs en la matière. Au Chili, Michelle Bachelet n’a rien changé durant son premier mandat. Le droit à l’IVG reste un sujet tabou et les différentes Églises y veillent.
Pourtant les femmes occupent une place importante dans les processus de transformation politique en cours…
Olga Gonzalez. Oui. C’est pourquoi il faut poser le débat sur le droit à l’IVG dans la sphère publique. Il faut contraindre les gouvernements et les partis de gauche, qui ont encore une vision patriarcale de la société, à reconnaître ce droit. La gauche doit assumer ses responsabilités. À ce propos, il faut attirer l’attention sur ce qui se passe à Bogota (la capitale de la Colombie).
On présente cette ville comme un modèle de civisme. Or elle est le théâtre d’une légalisation du proxénétisme. L’actuel maire de gauche, Gustavo Petro, prévoit, dans son plan d’aménagement, la création de centres commerciaux sexuels.
Les femmes seront ravalées au rang d’objets de consommation. Sur le plan national, un projet de loi est en discussion pour légaliser le proxénétisme alors qu’il est lié aux mafias paramilitaires.
Quel rôle jouent les femmes dans les luttes sociales ?
Olga Gonzalez. Elles sont très actives. En Colombie, elles sont à l’initiative de luttes pour l’augmentation de leurs revenus. Elles sont impliquées dans les ONG qui se battent contre l’impunité liée aux viols ou aux conflits armés. Il y a de nombreuses organisations sociales, paysannes et indiennes. Ces dernières se sont organisées pour que cessent les violences exercées contre les femmes au sein de leurs communautés.
Quel est l’impact du conflit sur les femmes colombiennes ? Quelle place occupent-elles dans l’actuel processus de paix ?
Olga Gonzalez. Les femmes ne sont pas les premières cibles mais elles sont les premières victimes des déplacements (la Colombie est le pays au monde qui compte le plus de personnes déplacées en internes – NDLR). Elles se retrouvent dans les grandes agglomérations, appauvries, souvent seules à la tête de familles. Elles sont les principales victimes des violences sexuelles exercées par les acteurs du conflit armé, principalement des paramilitaires.
Ce sont les deux grandes blessures des femmes colombiennes. Elles en ont assez de la guerre ; elles veulent d’autres issues et le disent. La Route pacifique des femmes pour la paix regroupe ainsi près de 300 organisations. Toutes ces femmes revendiquent le droit d’être prises en compte dans les pourparlers. Elles veulent une société plus égalitaire. La question des femmes est absente des dialogues entre le gouvernement et la guérilla. Pourtant, elles travaillent depuis longtemps à la construction d’un pays différent.
10:57 Publié dans AL-Pays : Colombie, Amérique Latine, Société | Tags : entretien, égalité hommes femmes, amérique latine, droits des femmes, colombie, journée du 8 mars, michelle bachelet, gustavo petro, olga gonzalez | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook | | |
02/05/2013
NICOLAS MADURO : "PAS DE NOUVEAU PINOCHET AU VENEZUELA"
Vêtu d'un survêtement coloré, Nicolas Maduro nous a reçues dans le hall d'une résidence présidentielle modeste située sur une base militaire, dont il a fait le siège de son pouvoir.
Dans un contexte politique tendu, la capitale, Caracas, bruissait de deux manifestations du 1er-Mai : celle de l'opposition et celle des "chavistes", privés de leur leader charismatique qui fut au pouvoir pendant quatorze années dans cet Etat pétrolier.
ENTRETIEN REALISE AVEC LE JOURNAL LE MONDE
Echauffourées au Parlement, incidents violents dans la rue provoquant sept morts après l'élection présidentielle : le Venezuela est un pays très polarisé, sous tension. Comment entendez-vous prévenir des dérapages ?
Le pays n'est pas polarisé, il est mobilisé. Le peuple est mobilisé car nous menons une révolution, une révolution contre la dépendance économique, la pauvreté, la misère, les inégalités, une révolution contre le capitalisme qui a saccagé notre patrie par le passé. Nous avons un socialisme démocratique. Lorsque les peuples entrent en lutte comme nous – nous l'avons fait il y a deux cents ans pour notre indépendance, et en ce moment nous luttons pour notre nouvelle indépendance –, il y a toujours des tensions. Nous avons une feuille de route, qui est notre Constitution, nos institutions, et elles fonctionnent. Ce que je peux garantir, c'est qu'il y aura la paix, il y aura la démocratie, et on surmontera n'importe quelle menace. Il est important que l'Europe le sache car il y a, de loin, une perception caricaturale. Les gens pensent qu'au Venezuela il y a une dictature.
Allez-vous nouer un dialogue avec l'opposition ?
J'ai appelé au dialogue général, mais le leadership de l'opposition est exercé par un groupe de droite très extrémiste qui empêche les partis politiques de s'asseoir pour discuter. Car ce groupe a un projet d'assaut sur le pouvoir. (...) J'appelle l'Europe à ouvrir les yeux. Au Chili, il y a eu Pinochet. Quand Allende a été attaqué, tout le monde a été surpris par la violence. Ici, une idéologie semblable est en train d'émerger. Si je compare cela à Mussolini, Franco ou Hitler, on dit que j'exagère. Mais ici, en Amérique latine, je sonne l'alarme. Il y a les ingrédients pour un projet extrémiste de droite. Si un jour ces gens parvenaient au pouvoir – ce qui n'arrivera pas –, ils détruiraient la démocratie au Venezuela et imposeraient un projet totalitaire.
L'opposition pèse 49 % des votes. Peut-elle être réduite à des "fascistes" comme vous les qualifiez ?
Pas entièrement, mais ce que l'on appelle la social-démocratie ou la démocratie chrétienne est en train de disparaître au Venezuela, et d'être happée par une droite extrême. Nous avons gagné 17 des 18 élections au cours des quatorze dernières années. Nous venons de faire face à la plus difficile des élections car nous nous sommes trouvés sans le commandant Chavez, qui était l'âme de la révolution bolivarienne. Moi j'étais candidat, je suis parti de zéro, et j'ai gagné. Le chavisme a oscillé entre 50 %-60 %, parfois on a atteint 63 %. C'est un courant historique très fort, très solide. Ce que je peux dire à la France et à l'Europe, c'est que nous empêcherons qu'au Venezuela surgisse un nouveau Pinochet. Nous le ferons par la voie de la démocratie.
Vous vous décrivez comme l'héritier d'Hugo Chavez. Son positionnement sur la scène internationale a été, pendant plus d'une décennie, celui d'une "résistance" à un supposé impérialisme américain, et des alliances avec des régimes répressifs comme celui de Kadhafi, Al-Assad, Loukachenko, Ahmadinejad. Allez-vous introduire la moindre inflexion ?
Vous dites : "un supposé impérialisme". L'impérialisme existe ! Les Etats-Unis ont exercé un impérialisme mondial. Au XIXe siècle, ils avaient déjà envahi la moitié du Mexique. Le XXe siècle a été celui d'une hégémonie totale, un empire économique, militaire et politique des Etats-Unis.
Au XXIe siècle, une nouvelle ère a commencé. Il s'agit, d'un côté, d'un monde impérial unipolaire, et, de l'autre, du surgissement d'un monde pluripolaire, multicentrique, en équilibre, qui est en fait le prolongement de la vision de notre libérateur, Simon Bolivar. Nous croyons à ce projet d'un monde en équilibre, sans empire. Le Venezuela a subi cent ans de domination pétrolière, des multinationales américaines qui ont semé la misère, et c'est pour cela que nous avons un projet anti-impérialiste.
Quant à nos amitiés... Kadhafi était ami de Sarkozy et de Berlusconi. Ils faisaient des banquets ensemble. Il finançait leurs campagnes. Comme membre de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole, on a toujours été ami de la Libye. Le président Chavez a été jusqu'au dernier jour un ami loyal de Kadhafi, assassiné de la manière la plus vulgaire. Le bombardement, la destruction de la Libye, l'Europe devrait y réfléchir, car elle a infesté la Libye de terroristes. Qui a le pouvoir militaire en Libye et envoie des milliers d'hommes armés combattre en Syrie ? Al-Qaida.
Le président syrien bombarde son propre peuple avec des avions et des tanks. Pourquoi ne condamnez-vous pas ces agissements si vous vous réclamez de la démocratie ?
En Syrie, il faut prendre en compte le fait qu'il y a une intervention étrangère qui a créé une guerre civile. Nous avons une bonne coopération, économique, avec le président Bachar Al-Assad. En tout cas, il faut faire la différence : le Venezuela est un pays démocratique. Et en Amérique latine, en général, chacun cherche son modèle économique, après le désastre des années 1990 marquées par le néolibéralisme. D'ailleurs, ce qui se passe en Europe en ce moment rappelle ce qu'a traversé notre région dans les années 1990 : tous les indicateurs sociaux reculaient et cela a mené à une explosion politique, des révolutions. C'est ce qui a expliqué le surgissement d'un Chavez, d'un Lula, d'un Kirchner, d'un Correa. L'Europe devrait prendre garde.
Nicolas Maduro, président du Venezuela, sous un portrait d'Hugo Chavez jouant au base-ball, à Caracas, le 1er mai 2013. | Miguel Gutierrez pour "Le Monde"
Vous parlez d'un monde multipolaire. Qui, au XXIe siècle, doit être l'allié du Venezuela : l'Europe, ou bien la Chine et la Russie ?
Un groupe a émergé, qui s'appelle BRICS. C'est le bloc qui, au niveau mondial, peut générer de grands changements vers l'équilibre. Il représente plus de 3 milliards d'habitants : la Chine, nos frères brésiliens, l'Inde, l'Afrique du Sud... C'est un grand espoir pour le monde, comme l'Europe a pu l'être. Le problème, c'est que l'Europe s'est laissé dominer par les politiques des Etats-Unis. Il faudrait que l'Europe rejoigne les BRICS, pour favoriser une grande alliance mondiale en faveur d'une nouvelle forme de coexistence, et pour que cessent l'interventionnisme et la guerre.
Que faudrait-il pour que la relation se normalise entre votre pays et les Etats-Unis de Barack Obama ?
Du respect. Du respect pour l'Amérique latine. Ils ne nous respectent pas. C'est une vieille histoire. Il y a deux doctrines. La doctrine Monroe, qui disait : "L'Amérique pour les Américains", c'est-à-dire pour les Etats-Unis d'Amérique. Et celle de Simon Bolivar, qui disait : "L'union de l'Amérique autrefois colonie de l'Espagne". Ce sont deux doctrines, l'une impériale, l'autre de libération. Il y a aux Etats-Unis – je le sais – un groupe ultraconservateur et terroriste. Cherchez qui sont Roger Noriega, John Negroponte, Otto Reich... Tous ces hommes-là sont derrière des plans de déstabilisation violente du Venezuela. Parfois le gouvernement américain exerce un certain contrôle sur ces groupes, parfois il les laisse agir. Les Etats-Unis sont gouvernés par un appareil militaro-industriel, médiatique et financier. Obama sourit, mais il bombarde quand même. Il offre juste une image différente de celle de Bush. En ce sens, il sert davantage les intérêts de domination mondiale des Etats-Unis. Nous venons de dépêcher un nouveau chargé d'affaires . Nous sommes disposés à avancer vers une relation qui puisse être positive. On verra.
Le pétrole a été le grand levier de la politique régionale menée par Hugo Chavez, ainsi que de ses programmes sociaux. Mais la production de votre pays stagne. Comptez-vous ouvrir ce secteur aux investissements étrangers ? Comment allez-vous diversifier une économie dominée par les hydrocarbures ?
Au Venezuela, dans la ceinture pétrolifère de l'Orénoque, nous avons 27 entreprises multinationales du monde entier, y compris des françaises. Nous invitons tous ceux qui n'ont pas encore investi dans notre pays – ils sont les bienvenus. Nous créons des zones économiques spéciales pour attirer l'investissement et de la technologie. Nous avons étudié l'expérience chinoise, celle de la municipalité de Pudong, à Shanghaï. Par ailleurs, le Venezuela a 33 millions d'hectares de terres agricoles disponibles, et nous n'en utilisons que 3 millions. Nous avons toutes les conditions pour devenir une puissance de l'agroalimentaire. Nous appelons tous ceux qui veulent produire dans des conditions agro-écologiques à venir au Venezuela. Nous pouvons produire pour le Mercosur, pour l'Europe, pour l'Asie.
Vous parlez de liberté. Quand vous allez à Cuba pour discuter avec Raul et Fidel Castro, comme vous l'avez fait encore récemment, parlez-vous des prisonniers politiques, des journalistes qui sont détenus ?
Nous sommes fiers de Cuba, et nous allons continuer de soutenir ce peuple noble et solidaire. Fidel et Chavez, c'était comme un père et un fils, une unité profonde. Fidel Castro représente la dignité du continent sud-américain face aux empires. Il est un mythe vivant de la lutte pour l'indépendance et la libération du continent.
10:05 Publié dans Actualités, AL-Pays : Vénézuela, Amérique Latine, Economie, Entretien | Tags : nicolas maduro, vénézuela, entretien, usa, amérique latine | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook | | |