18/04/2014
ADIEU A UN IMMENSE ECRIVAIN : GABRIEL GARCIA MARQUEZ !
À soixante-quinze ans, Gabriel Garcia Marquez, l'auteur de Cent Ans de solitude, s'est lancé dans l'écriture de ses Mémoires. Le premier tome, Vivre pour la raconter, vient d'être publié en France.
Nous republions aujpourd'hui l'article de l'Humanité publié en 2003
Les Mémoires de l'écrivain colombien Gabriel Garcia Marquez sont celles d'une vie inspirée, vécue avec intensité et rythmée par l'histoire de la Colombie des années quarante et cinquante. Dans Vivre pour la raconter, le premier tome d'une suite à venir, Marquez relate ses souvenirs d'enfance et de jeunesse. De l'âge de cinq ans à l'âge de trente ans, il fait partager au lecteur les étapes d'une vie tantôt entourée de sa famille, tantôt de ses amis écrivains. C'est tout au long d'une évolution graduelle, jusqu'à devenir ce formidable journaliste et romancier, que l'auteur nous guide dans le labyrinthe de sa vie, ponctuée par des événements de la petite et de la grande histoire.
Ses premiers souvenirs sont ceux du village où vivent ses grands-parents, Aracataca, situé dans les montagnes de la caraïbe. Là où il vit, jusqu'à l'âge de huit ans, aux côtés de ses parents, de ses frères et sours. Il est marqué par le mysticisme et la superstition d'une grand-mère, Tranquilina Iguaran, et par les récits épiques d'un grand-père, Ricardo Marquez Mejia, survivant de la guerre des mille jours qui fut, de 1899 à 1902, une des plus sanglantes guerres civiles de Colombie. Ainsi, dès sa petite enfance, Marquez commence à tisser la toile de son propre univers imaginaire.
L'auteur se promène dans les méandres de sa mémoire et nous propulse au cour d'une arrivée agitée dans le monde qui l'entoure et qu'il expérimentera avec humour et tendresse. Son introduction à la vie intellectuelle, politique et sentimentale colombienne va nourrir et déterminer les conditions d'existence de son ouvre future.
Pour le lecteur, ce livre permet de comprendre comment Marquez est devenu l'immense auteur de Cent Ans de solitude (1967), ce fabuleux roman qui l'a rendu si célèbre. Pour Marquez lui-même, il semblerait qu'écrire et raconter sa propre histoire se révèle un besoin vital.
Si l'on se fie au titre de ses Mémoires, celles-ci sont en quelque sorte la justification de sa propre vie. Être au monde est une raison suffisante pour se raconter. Comme si, à l'âge de soixante-quinze ans, arrivé à la fin de sa vie, Marquez estimait qu'elle prend du sens dès lors que le souvenir la sauve du temps qui passe. Et de fait, lorsqu'un des plus grands écrivains latino-américains du XXe siècle entreprend cet exercice introspectif, il est impossible de bouder son plaisir.
À la manière d'un long entretien, que Marquez refuse d'accorder aux journalistes depuis des années, il rassemble et donne vie aux pièces d'un puzzle resté longtemps intacte. Gabriel Garcia Marquez revendique son vécu comme un trop-plein de subjectivité et d'ambiguïté qui définit la complexité du souvenir.
D'aucuns pourraient craindre que l'entreprise de dévoilement entamée par Marquez n'interfère avec ses ouvres passées. Il n'en est rien. Et ceux qui lui reprochent de ne pas avoir été à la hauteur de ses romans se trompent de critique. Il est bien clair que Vivre pour la raconter n'est pas un roman et n'en a guère la prétention. L'autobiographie est un genre très différent de l'écriture journalistique, du roman ou de la nouvelle. La vérité qui surgit de sa mémoire, toute relative et imparfaite soit-elle, donne toute sa raison d'être au récit de sa vie.
Des anecdotes familiales souvent excentriques, des villes fantômes ou meurtries par des massacres, des maisons hantées, des ambiances de café, de bordels et de rédaction de journal sont un ensemble de strates qui cimentent son éducation, le cheminement de sa pensée, et déterminent ses choix d'écriture. Sans dénaturer la magie de ses romans et de ses contes, Marquez permet au lecteur de pénétrer dans les coulisses du processus de fabrication de son univers littéraire. Aracataca, le village de son enfance, préfigure le Macondo de Cent Ans de solitude. Des personnages, à l'instar de son grand-père, ex-colonel, ou encore de ses parents, sont à l'origine de romans tels que Le colonel n'a personne pour lui écrire (1961) ou l'Amour au temps de choléra (1985).
Ainsi son roman Chronique d'une mort annoncée, paru en 1981 (un an avant de recevoir le prix Nobel de littérature), est basé sur un fait divers surréaliste, survenu à Sucre, ville de résidence de ses parents : la sombre histoire de la mise à mort d'un jeune homme prévue par deux hommes, connue de tout le village et pourtant inéluctable. Ou encore l'histoire d'une fillette morte, retrouvée dans une crypte du couvent de Santa Clara, dont la chevelure cuivrée avait poussé jusqu'à atteindre près de vingt-deux mètres en deux cents ans. Marquez accolera cette anecdote à une légende que sa grand-mère lui avait racontée à propos d'une petite marquise, Sierva Maria de tous les Anges, atteinte par la rage et vénérée dans les villages de la caraïbe. Elles lui inspireront un de ses plus beaux romans : De l'amour et autres démons (1994), qui raconte l'amour impossible entre une fillette possédée par le démon et un prêtre.
L'ouvre de Gabriel Garcia Marquez ne peut se résumer à un savant mélange d'imaginaire fantasque et de réalisme. Mais ses romans ont un pouvoir d'attraction inégalé où les personnages, marqués par des caractères et des destinées baroques, emportent tout sur leur passage, erreurs, secrets, désirs, et nous avec.
L'ensemble de son ouvre est le résultat d'un long mûrissement, eu égard à ses nombreuses rencontres avec écrivains et journalistes colombiens qui aiguiseront son style. La stimulation intellectuelle lui servira à choisir ses nourritures littéraires, découvrant ainsi, entre autres, des auteurs majeurs comme Virginia Woolf, Sophocle, William Faulkner, Kafka et Cervantès. L'univers de Gabo, apocope de Gabito, comme le baptiseront ses collègues du journal El Espectador, est chargé d'amour, de malheurs, d'illusions et de déceptions que ses Mémoires rassemblent avec une précision quasi documentaire.
Vivre pour la raconter ne trahit à aucun moment son ouvre. Au contraire, c'est une plongée au cour de l'esprit d'un écrivain exceptionnel, une plongée qui éclaire son ouvre.
Ixchel Delaporte pour l'Humanité
Vivre pour la raconter, Gabriel Garcia Marquez, traduction d'Annie Morvan, Grasset. 550 pages, 22 euros.
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11:13 Publié dans Actualités, AL-Pays : Colombie, Amérique Latine, Livre, Portrait | Tags : gabriel garcia marquez, colombie | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook | | |
23/09/2013
Cuba et la rhétorique des droits de l’Homme
En Occident, le nom de Cuba est inévitablement associé à la problématique des droits de l’homme. Les médias européens et étasuniens stigmatisent la plus grande île des Caraïbes de manière réitérée sur cette question.
Aucun pays du continent américain n’est autant pointé du doigt que la patrie de José Martí, qui dispose d’une couverture médiatique disproportionnée par rapport à sa taille. En effet, des événements qui passeraient inaperçus dans n’importe quel autre pays d’Amérique latine ou du monde sont relayés par la presse internationale quand il s’agit de Cuba.
Ainsi, le suicide en février 2010 d’Orlando Zapata Tamayo, un prisonnier condamné pour des délits de droit commun, à Cuba a été bien plus médiatisé que la découverte en janvier 2010 d’un charnier de 2000 corps de syndicalistes et de militants de droits de l’homme assassinés par l’armée en Colombie.
De la même manière, les manifestations d’opposants cubains apparaissent régulièrement dans la presse occidentale qui, en même temps, censure les exactions commises – plus de 500 cas d’assassinats et de disparitions ! – par la junte militaire, de Roberto Micheletti d’abord, et de Porfirio Lobo qui gouverne actuellement le Honduras après le coup d’Etat de juin 2009 contre le président démocratiquement élu José Manuel Zelaya1.
Les Etats-Unis justifient officiellement l’imposition des sanctions économiques, en vigueur depuis juillet 1960 et qui affectent toutes les catégories de la société cubaine, en particulier les plus vulnérables, en raison des violations des droits de l’homme. De 1960 à 1991, Washington a expliqué que l’alliance avec l’Union soviétique était la raison de son hostilité à l’égard de Cuba. Depuis l’effondrement du bloc de l’Est, les différentes administrations, de Georges H. W. Bush à Barack Obama, ont utilisé la rhétorique des droits de l’homme pour expliquer l’état de siège anachronique, qui loin d’affecter les dirigeants du pays, fait payer le prix des divergences politiques entre les deux nations aux personnes âgées, aux femmes et aux enfants2.
De son côté, l’Union européenne impose une Position commune – la seule au monde ! – depuis 1996 au gouvernement cubain, qui limite les échanges bilatéraux, pour les mêmes raisons. Cette stigmatisation constitue le pilier de la politique étrangère de Bruxelles à l’égard de La Havane et représente le principal obstacle à la normalisation des relations bilatérales. Entre 2003 et 2008, l’Union européenne a également imposé des sanctions politiques, diplomatiques et culturelles à Cuba en raison des « violations des droits de l’homme3 ».
Une stigmatisation légitime ?
Il ne s’agit pas d’affirmer que Cuba est irréprochable sur la question des droits de l’homme et qu’aucune violation n’y est commise. En effet, Cuba est loin d’être une société parfaite et il y existe des atteintes à certains droits fondamentaux.
Néanmoins, Il convient de se questionner sur les raisons d’une telle stigmatisation de la part des médias occidentaux, des Etats-Unis et de l’Union européenne. Cuba présente-t-elle une situation des droits de l’homme particulière ? Est-elle pire que celle du reste du continent ? Washington, Bruxelles et la presse occidentale sont-ils réellement préoccupés par cela ? Disposent-ils d’une autorité morale suffisante pour s’ériger en donneurs de leçons ?
Pour répondre à ces questions, le rapport d’Amnistie Internationale (AI) de 2010 apporte un éclairage intéressant. Dix pays – cinq du continent américain : le Canada, les Etats-Unis, le Mexique, le Brésil et la Colombie, et cinq de l’Union européenne : la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Espagne et la République tchèque (leader du front des nations opposées à la normalisation des relations avec Cuba) seront soumis à une analyse comparative4.
Les droits de l’homme à Cuba
Selon AI, il existe de « sévères restrictions sur les droits civils et politiques » à Cuba. AI recense « 55 prisonniers d’opinion […] incarcérés pour le seul fait d’avoir exercé de manière pacifique leur droit à la liberté d’expression5 ». Dans une déclaration du 18 mars 2008, AI reconnaît néanmoins que ces personnes ont été condamnées « pour avoir reçu des fonds ou du matériel du gouvernement américain pour des activités perçues par les autorités comme subversives ou faisant du tort à Cuba6 », ce qui constitue un délit d’ordre pénal à Cuba mais également dans n’importe quel autre pays du monde.
L’organisation souligne également que « nombre [d’opposants] ont déclaré avoir été battus lors de leur arrestation ». De graves restrictions pèsent encore sur la liberté d’expression, d’après AI, car « tous les grands médias et Internet demeur[ent] sous le contrôle de l’État ». Par ailleurs, les sites des opposants sont bloqués à Cuba et ne sont accessibles que depuis l’étranger. Plusieurs dissidents ont été arrêtés puis relâchés. AI dénonce également les manœuvres d’intimidation à leur encontre. En outre, « les restrictions au droit de circuler librement ont empêché des journalistes, des défenseurs des droits humains et des militants politiques de mener à bien des activités légitimes et pacifiques ». Ainsi, l’opposante Yoani Sánchez n’a pas été autorisée à quitter le pays pour recevoir un prix aux Etats-Unis7.
AI rappelle néanmoins qu’en mai 2009, Cuba « a été réélu au Conseil des droits de l’homme [ONU] pour un nouveau mandat de trois années », illustrant ainsi que la majorité de la communauté internationale ne partage pas l’avis de Bruxelles et de Washington au sujet de la situation des droits de l’homme à Cuba8.
Enfin, AI reconnaît que les sanctions économiques imposées par les Etats-Unis ont « toujours des effets négatifs sur les droits économiques et sociaux des Cubains. La législation américaine restreignant les exportations vers l’île de produits et de matériel fabriqués ou brevetés par les États-Unis continu[e] d’entraver l’accès aux médicaments et aux équipements médicaux ». AI ajoute que les agences des Nations unies présentes à Cuba sont « également pénalisées par l’embargo9 ».
Ainsi, comme l’illustre le rapport d’AI, Cuba n’est pas irréprochable en matière de respect des droits de l’homme.
Les droits de l’homme sur le continent américain
Il convient désormais de mettre en perspective la réalité cubaine avec la problématique du continent à ce sujet.
Les Etats-Unis
D’après AI, 198 personnes sont toujours détenues illégalement sur la base navale de Guantanamo, sans inculpation, et ce depuis sept ans. Au moins cinq détenus se sont suicidés dans la prison de Guantanamo. Par ailleurs, plusieurs prisonniers ont été jugés par des tribunaux militaires qui n’offraient pas toutes les garanties d’un procès équitable10.
De plus, « plusieurs centaines de personnes, dont des enfants, étaient toujours détenues par les forces américaines sur la base aérienne de Bagram, en Afghanistan, sans avoir la possibilité de consulter un avocat ou d’être présenté devant un juge11 ».
AI a également dénoncé le « programme de détentions secrètes de la CIA » et a révélé les « actes de torture et autres formes de mauvais traitements infligés aux personnes détenues ». Elle cite deux exemples : « Parmi les techniques autorisées figuraient la nudité forcée, la privation prolongée de sommeil et le waterboarding (simulacre de noyade). […]Abu Zubaydah […] avait été soumis à cette dernière technique plus de 80 fois en août 2002 et Khaled Sheikh Mohammed 183 fois en mars 2003 ». Les auteurs de ces actes ne seront pas poursuivis par la justice comme l’ont déclaré Barack Obama et le ministre de la Justice Eric Holder12.
AI remarque que « l’impunité et l’absence de voies de recours persistaient pour les violations des droits humains perpétrées dans le cadre de ce que le gouvernement du président Bush appelait la « guerre contre la terreur ». L’organisation ajoute que « le nouveau gouvernement a bloqué la publication d’un certain nombre de photos montrant les sévices infligés à des personnes détenues par les États-Unis en Afghanistan et en Irak13 ».
AI dénonce également les actes de « torture et autres mauvais traitements », commis sur le territoire des Etats-Unis par les forces de l’ordre à l’encontre de citoyens américains. « Au moins 47 personnes sont mortes après avoir été neutralisées au moyen de pistolets Taser, ce qui portait à plus de 390 le nombre total de personnes décédées dans des circonstances analogues depuis 2001 ». AI ajoute que « parmi les victimes figuraient trois adolescents non armés qui avaient commis des délits mineurs ainsi qu’un homme apparemment en bonne santé auquel des policiers de Fort Worth, au Texas, ont administré des décharges électriques pendant 49 secondes sans interruption, en mai14 » 2009.
L’organisation internationale pointe du doigt les conditions de détention aux Etats-Unis. Selon elle, « ses milliers de prisonniers étaient maintenus à l’isolement prolongé dans des prisons de très haute sécurité où, dans bien des cas, les conditions de vie bafouaient les normes internationales selon lesquelles les détenus doivent être traités avec humanité ». Ainsi « de très nombreux détenus […] dont beaucoup souffraient de troubles mentaux, étaient maintenus à l’isolement depuis 10 ans ou plus, 23 heures sur 24, sans soins adéquats et sans que leur situation ait été réexaminée en bonne et due forme ». Ces derniers « n’avaient la possibilité ni de travailler, ni de se former, ni de se distraire et n’avaient que très peu de contacts avec le monde extérieur15 ».
Selon AI, « des dizaines de milliers de migrants, dont des demandeurs d’asile, étaient régulièrement incarcérés, en violation des normes internationales. Beaucoup étaient détenus dans des conditions extrêmement dures, pratiquement privés d’exercice, d’accès aux soins et de la possibilité d’obtenir une assistance juridique16 ».
Par ailleurs, le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a dénoncé plusieurs cas d’exécutions extrajudiciaires commises par les forces de l’ordre à l’encontre de migrants. « Le nombre de morts en détention était supérieur aux 74 cas recensés par les autorités depuis 2003 », note AI17.
AI évoque les discriminations faites aux femmes issues des minorités en termes de droit à la santé. Ainsi, « le nombre de décès évitables dus à des complications liées à la grossesse restait élevé ; plusieurs centaines de femmes sont mortes au cours de l’année. Des disparités liées aux revenus, à la race, à l’origine ethnique ou nationale existaient dans l’accès aux soins médicaux pour les femmes enceintes ; le taux de mortalité maternelle était près de quatre fois plus élevé chez les Afro-Américaines que chez les femmes blanches ». AI ajoute également que 52 millions de personnes de moins de 65 ans n’avaient pas d’assurance maladie, « un chiffre en augmentation par rapport à l’année précédente18 ».
Selon AI, un objecteur de conscience a été condamné à un an de prison pour avoir refusé de servir en Afghanistan. L’organisation dénonce également les procès inéquitables à l’encontre de Leonard Peltier, détenu depuis 32 ans, « malgré les doutes quant à l’équité de sa condamnation en 1977 ». AI note également que la Cour suprême fédérale a refusé d’examiner l’appel interjeté par cinq prisonniers politiques cubains, Gerardo Hernández, Ramón Labañino, Antonio Guerrero, René González et Fernando González, condamnés à de longues peines de prison alors que « le Groupe de travail sur la détention arbitraire [ONU] avait conclu, en mai 2005, que la détention de ces cinq hommes était arbitraire car ils n’avaient pas bénéficié d’un procès équitable19 ».
Par ailleurs, la peine de mort continue à être appliquée aux Etats-Unis. Ainsi, 52 personnes ont été exécutées en 200920.
Le Brésil
La situation au Brésil fait également l’objet d’un rapport. AI fait état « d’un usage excessif de la force, d’exécutions extrajudiciaires et d’actes de torture de la part de la police ». Les forces de l’ordre « ont continué à se livrer à des violations massives », et des « centaines d’homicides n’ont pas fait l’objet d’enquêtes sérieuses et les suites judiciaires ont été inexistantes ou presque ». Ainsi, « à Rio de Janeiro, en 2009, la police a ainsi tué 1 048 personnes ». A Sao Paolo, « ce chiffre s’élevait à 543, soit une augmentation de 36 % par rapport à 2008 ». Par ailleurs, « les homicides imputables à la police militaire auraient quant à eux augmenté de 41 %21 ».
L’organisation dénonce également « l’augmentation du nombre de milices – groupes paramilitaires armés composés en grande partie d’agents de la force publique agissant hors service » qui « usant de leur pouvoir sur la population pour en retirer des avantages économiques et politiques illicites, […] ont mis en danger la vie de milliers d’habitants et les institutions mêmes de l’État22 ».
Au Brésil, « les conditions de détention restaient cruelles, inhumaines ou dégradantes. La torture était régulièrement employée lors des interrogatoires ou à des fins d’extorsion, ou pour punir, contrôler ou humilier », selon AI, en plus du problème de surpopulation23.
Par ailleurs, « des litiges fonciers ont cette année encore été à l’origine d’atteintes aux droits fondamentaux commises tant par des tueurs professionnels à la solde de propriétaires terriens que par des policiers ». Pas moins de 20 personnes ont été assassinées en 200924.
Selon AI, les droits des travailleurs ont été bafoués et des « milliers de travailleurs étaient maintenus dans des conditions s’apparentant à de l’esclavage ». Le droit à un logement convenable n’est pas non plus respecté. Par ailleurs, « de graves atteintes aux droits des populations indigènes étaient toujours commises dans l’État du Mato Grosso do Sul ». AI évoque plusieurs cas de disparition de militants indigènes25.
Le Canada
Selon AI, les autorités canadiennes « n’ont pas veillé au respect des droits des peuples autochtones lors de la délivrance d’autorisations pour l’exploitation des mines, des forêts, du pétrole et d’autres ressources naturelles. Le gouvernement a continué d’affirmer, sans fondement, que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones ne s’appliquait pas au Canada26 ».
L’organisation dénonce également les discriminations à l’égard des indigènes et notamment des enfants. Par ailleurs, l’exploitation par la force du pétrole et du gaz se trouvant sur les terres des Cris du Lubicon a contribué à « une mauvaise santé et à une pauvreté très fréquentes chez eux27 ».
Le droit des femmes est régulièrement violé au Canada. Ainsi, « les femmes, jeunes filles et fillettes autochtones étaient toujours nombreuses à subir des violences » et « le gouvernement canadien n’a pris aucune mesure en vue de mettre en place un plan d’action national complet pour lutter contre la violence et la discrimination28 ».
Le Canada s’est également rendu complice d’actes de torture en livrant des suspects aux autorités afghanes dans le cadre de la lutte contre le terrorisme29.
Par ailleurs, les forces de police se sont rendues responsables d’un assassinat d’un suspect en lui administrant une décharge électrique à l’aide de pistolets Taser30.
La Colombie
En Colombie, la population civile est « victime de déplacements forcés, d’attaques aveugles, de prises d’otages, de disparitions forcées, d’enrôlement forcé de mineurs, de violences sexuelles à l’égard des femmes et d’homicides », commis par les forces de sécurité, les paramilitaires et la guérilla31.
AI dénombre 20 000 cas de disparitions forcées et 286 000 cas de personnes déplacées. L’organisation souligne que « le gouvernement a refusé de soutenir une proposition de loi prévoyant l’octroi de réparations aux victimes du conflit sur une base non discriminatoire, c’est-à-dire sans aucune distinction selon que les auteurs des violations sont des agents de l’État ou non. Le texte a été rejeté par le Congrès en juin32 ».
Par ailleurs, le rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales des populations autochtones a qualifié la situation des droits des peuples indigènes de Colombie comme étant « grave, critique et profondément préoccupante ». AI note qu’« au moins 114 hommes, femmes et enfants indigènes ont été tués en 2009, un chiffre en hausse par rapport à l’année 200833 ».
Le Département administratif de sécurité, qui opère sous l’autorité directe du chef de l’État, est impliqué dans « une vaste affaire d’espionnage illégal, mené sur une longue période. Au nombre des victimes figuraient des défenseurs des droits humains, des membres de l’opposition politique, des juges et des journalistes, dont on cherchait ainsi à restreindre, voire à neutraliser, l’action. Ces manœuvres auraient été effectuées avec l’étroite collaboration de groupes paramilitaires. Des membres des milieux diplomatiques et des défenseurs étrangers des droits humains ont également été pris pour cibles ». AI ajoute que « Certains militants espionnés par le Département administratif de sécurité avaient reçu des menaces de mort et fait l’objet de poursuites pénales pour des motifs fallacieux34 ».
En 2009, 80 membres du Congrès ont fait l’objet d’une « information judiciaire en raison de leurs liens présumés avec des groupes paramilitaires ». Plusieurs magistrats participant à l’enquête ont reçu des menaces de mort, selon AI35.
Plus de 2 000 exécutions extrajudiciaires ont été commises par les forces de sécurité. « Le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a déclaré que ces homicides étaient commis par un nombre important d’éléments de l’armée ». L’armée a continué de collaborer avec les groupes paramilitaires, lesquels se sont rendus coupables de « massacres ». Au moins 8 militants des droits de l’homme et 39 syndicalistes ont été assassinés en 2009. AI note que « l’impunité dont jouissaient les auteurs de violations restait source de profonde préoccupation36 ».
Le Mexique
Au Mexique, plus de 6 500 personnes ont été tuées dans des violences liées au narcotrafic. AI évoque des « violations des droits humains commises par des militaires, notamment des exécutions extrajudiciaires et d’autres homicides illégaux, des disparitions forcées, des actes de torture et d’autres mauvais traitements, ainsi que des détentions arbitraires ». L’organisation ajoute que « des victimes et des proches de victimes ont reçu des menaces après avoir tenté de déposer plainte » et déplore « l’impunité dont jouissent les coupables37 ».
AI affirme que « plusieurs cas de violations des droits humains – disparition forcée, recours excessif à la force, torture et autres mauvais traitements et détention arbitraire, notamment – imputables à des agents de la police municipale, fédérale ou des États ont été signalés ». De plus, « les promesses des autorités, qui s’étaient engagées à mener une enquête sur toutes les allégations de torture, sont restées lettre morte38 ».
Les migrants ont également été victimes des autorités mexicaines. Ils ont subi des « brutalités, menaces, enlèvement, viol et assassinat, entre autres – perpétrés essentiellement par des groupes de criminels mais aussi par certains fonctionnaires ». AI souligne par ailleurs que « deux défenseurs des droits fondamentaux des indigènes ont été enlevés, torturés et assassinés à Ayutla ». AI note également qu’« à la fin de l’année, Raúl Hernández, prisonnier d’opinion et militant d’une autre organisation locale de défense des droits des populations indigènes, se trouvait toujours en prison sur la base d’une accusation de meurtre forgée de toutes pièces39 ».
Au Mexique, plusieurs journalistes ont été menacés, agressés et enlevés, selon AI, tout particulièrement ceux qui « s’intéressaient aux questions de sécurité publique et de corruption ». Au moins 12 journalistes ont été assassinés en 2009. De plus, « les enquêtes ouvertes sur les meurtres, les enlèvements et les menaces dont les professionnels des médias faisaient l’objet donnaient rarement lieu à des poursuites, ce qui contribuait à entretenir un climat d’impunité40 ».
AI dénonce les discriminations et violences commises à l’égard des peuples indigènes, spoliés de leurs terres et de leurs habitations par les autorités, « le but étant d’exploiter les ressources locales41 ».
Les femmes et les filles sont constamment victimes de violences. « De très nombreux cas d’assassinat de femmes après enlèvement et viol ont été signalés dans les États de Chihuahua et de Mexico », remarque AI. Mais, « l’impunité demeurait la norme pour les meurtres de femmes et les autres crimes violents dont elles étaient victimes ». Par ailleurs, 14 des 31 Etats du Mexique refusent d’appliquer la loi de dépénalisation de l’avortement42.
Conclusion
Le rapport d’Amnistie Internationale est édifiant à plusieurs égards. Tout d’abord, on découvre que si l’organisation recense certaines violations des droits humains à Cuba, l’île des Caraïbes est loin d’être le mauvais élève du continent. Ce constat remet donc en cause la stigmatisation des médias occidentaux, de Washington et de Bruxelles à l’égard de La Havane.
Ainsi, la presse occidentale trompe l’opinion publique en présentant Cuba comme étant le principal violateur des droits humains sur le continent américain. Les Etats-Unis, de leur côté, ne peuvent en aucun cas justifier l’imposition des sanctions économiques en raison de la situation des droits de l’homme dans l’île et doivent y mettre un terme. En effet, non seulement ils ne disposent d’aucune autorité morale pour disserter sur cette question au regard de leur propre situation, mais en plus la plupart des pays du continent présentent une situation pire que celle de Cuba.
Quant à l’Union européenne, elle doit éliminer la Position commune qui est discriminatoire et peu crédible et normaliser les relations avec La Havane. Il convient désormais d’évaluer l’autorité de Bruxelles sur cette question.
A suivre « Cuba et la rhétorique des droits de l’homme (2/2) »
Notes
1 Salim Lamrani, « Cuba, les médias occidentaux et le suicide d’Orlando Zapata Tamayo », Voltaire, 1er mars 2010.
2 Salim Lamrani, Cuba. Ce que les médias ne vous diront jamais (Paris : Editions Estrella, 2009), pp. 121-134.
3 Ibid., pp. 21-36.
4 Amnesty International, « Rapport 2010. La situation des droits humains dans le monde », mai 2010. http://thereport.amnesty.org/sites/default/files/AIR2010_... (site consulté le 7 juin 2010).
5 Ibid., pp. 87-88.
6 Amnesty International, « Cuba. Cinq années de trop, le nouveau gouvernement doit libérer les dissidents emprisonnés », 18 mars 2008. http://www.amnesty.org/fr/for-media/press-releases/cuba-c...(site consulté le 23 avril 2008).
7 Amnesty International, « Rapport 2010. La situation des droits humains dans le monde », op. cit., pp. 87-88.
8 Id.
9 Id.
10 Ibid., pp. 105-09
11 Id.
12 Id.
13 Id.
14 Id.
15 Id.
16 Id.
17 Id.
18 Id.
19 Id.
20 Id.
21 Ibid., pp. 48-52.
22 Id.
23 Id.
24 Id.
25 Id.
26 Ibid., pp. 62-63.
27 Id.
28 Id.
29 Id.
30 Id.
31Ibid., pp. 72-76
32 Id.
33 Id.
34 Id.
35 Id.
36 Id.
37 Ibid., pp. 210-14.
38 Id.
39 Id.
40 Id.
41 Id.
42 Id.
Salim Lamrani est enseignant chargé de cours à l’Université Paris-Sorbonne-Paris IV et l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée et journaliste français, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis. Son nouvel ouvrage s’intitule Cuba. Ce que les médias ne vous diront jamais (Paris : Editions Estrella, 2009).
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07/07/2013
MEDELLIN : UNE VILLE DYNAMIQUE CANDIDATE AUX JEUX OLYMPIQUES !
Les Jeux olympiques de la jeunesse d'été 2018 seront la troisième édition des Jeux olympiques de la jeunesse d'été et la cinquième édition des Jeux olympiques de la jeunesse.
Trois villes candidates, Buenos Aires, Glasgow et Medellín, étaient en compétition.
La capitale d'Argentine, Buenos Aires, a été désignée à Lausanne le 4 juillet 2013.
Medellín est la capitale d'Antioquia, un des départements de la Colombie. Avec une population de 3 312 165 habitants en 2005 (pour l'agglomération), elle est la deuxième ville la plus peuplée de Colombie, après Bogota. Les habitants de Medellín sont appelés communément les « Paisas ».
HISTOIRE
Les premiers Espagnols débarquèrent dans la région au cours des années 1500 et 1501, la région était alors occupée par de nombreuses tribus appartenant à la grande famille des Caraïbes. Le nom de Medellín tient son origine du nom « Metellium », ancien nom latin de la ville de Medellín, dans la province espagnole de Badajoz issu elle-même de son fondateur Quintus Caecilius Metellus Pius.
GEOGRAPHIE
La ville est située à 400 km de la capitale Bogota et s'étend sur 380 km2.
La ville de Medellín occupe la vallée encaissée de l'Aburrá, entre les cordillères occidentale et centrale, à une altitude de 1 538 mètres. Elle est traversée par le río Medellín qui poursuit son cours vers le Nord. Elle est surnommée Capital de la Montaña (Capitale de la Montagne).
LE CLIMAT
Les températures y varient de 30 °C en été à 16 °C l'hiver, ce qui lui vaut l'autre surnom de « Ciudad de la Eterna Primavera » (Ville du printemps éternel).
L’ECONOMIE
Medellin est la deuxième plus important centre économique de la Colombie. Elle compte plus de 8 % du PIB national et en collaboration avec la Vallée des Aburrá ajouter 11 %. C’est l'une des régions les plus productives du pays.
L'EDUCATION
Medellín est l`un des principaux centres culturels de Colombie avec 24 universités ou collèges d'enseignement supérieur et 22 000 étudiants. Les plus importantes sont les universités publiques Universidad de Antioquia et Universidad Nacional(es), les universités privées Escuela de Ingenieria de Antioquia (EIA) (es), CES(es),Universidad EAFIT(es) , Universidad Pontificia Bolivariana et Universidad de Medellín
A VOIR
- Le musée d'Antioquia présente une importante collection d`œuvres offertes par Fernando Botero : les siennes et celles d`importants artistes européens latino- et nord-américains du XXe siècle. En outre, il s`attache à faire connaître les excellents artistes paisas du XIXe siècle à nos jours.
- La Basílica Metropolitana de la Inmaculada, commencée en 1875 et inaugurée en 1931. Par sa dimension gigantesque, elle est classée septième au monde et première en Amérique latine.
- Le Cerro Nutibara est une montagne située en plein centre de Medellín que l'on considère comme le poumon culturel de la ville. On y a une vue panoramique imprenable de tout le Valle de Aburrá. On y trouve une galerie d'art de même qu'une reproduction d'un ancien village antioqueño.
- Le jardin botanique de Medellín avec de nombreuses variétés d'orchidées
- Le festival Feria de las Flores qui est le plus grand carnaval d'Antioquia ; il se déroule chaque année au mois d'août depuis 1957. On y voit une parade de chars, défilé de silleteros (parade fleurie), parade équestre, etc.
- La place Fernando Botero, où trônent une vingtaine de sculptures de l'artiste.
- La place Cisneros, où se dresse une forêt artificielle de bambous de 24 mètres de haut.
- Le jardin botanique et ses splendides parterres d'orchidées.
Sources Wikipédia
20:11 Publié dans Actualités, ACTUSe-Vidéos, AL-Pays : Colombie, Culture, Economie, Sport | Tags : medellin, colombie, sport, jeux olympiques | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook | | |
03/06/2013
COLOMBIE : FARC, DES NEGOCIATIONS POUR UNE SOLUTION POLITIQUE
Colombie : Des négociations pour une solution politique par Jaime Caycedo, secrétaire général du Parti communiste colombien. Professeur de l’Universidad Nacional de Colombia
Depuis 4 mois, des négociations ont commencé entre les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) et le gouvernement colombien pour un accord de paix. Comment se déroulent-elles ? Quels en sont les objectifs ? et ont-elles une chance d’aboutir ?
Ces négociations sont une nécessité pour sortir d’une guerre civile qui perdure depuis plus d’un demi-siècle et qui s’est considérablement aggravée au début des années 2000 sous l’effet de l’intervention des États-Unis avec le plan Colombie. La crise mondiale influe aussi sur le conflit. L’amorce des négociations démontre que c’est l’issue politique qui permettra d’en sortir et non un écrasement de la guérilla, option défendue par la stratégie des pouvoirs précédents, ou une insurrection populaire improbable.
Les attentes sont très importantes. Les commissions de négociation sont composées par les délégués du gouvernement qui sont des représentants des secteurs clés de la bourgeoisie, et de deux membres de l’armée. Du coté des FARC, y sont présents des dirigeants de la guérilla provenant de divers groupements de combattants. Ces commissions ont plusieurs points à l’ordre du jour. Un accord général n’est pas facile d’autant que le gouvernement a imposé de négocier sans cessez-le-feu, alors que la guerre continue. Cette méthode est inspirée des États-Unis et des conseillers militaires qui l’ont mise en pratique en Afghanistan.
Les commissions ont avancée sur le premier pilier des négociations qui concerne la réforme agraire, le développement rural et la condition paysanne. La Colombie se caractérise par de grandes propriétés foncières liées au développement des narco-paramilitaires qui entretiennent eux-mêmes des relations étroites avec les pouvoirs politiques. La réforme agraire doit aboutir à une redistribution de la terre en faveur de la paysannerie.
La guérilla en appelle à la création de réserves paysannes qui permettraient aux familles de disposer de suffisamment de terre pour survivre, où les droits fonciers seraient garantis et où la vente de la terre serait interdite. Ces revendications s’opposent aux dispositions du programme de développement du gouvernement actuel qui rend possible l’achat de terres par des investisseurs étrangers. Or, dans le contexte de la crise mondiale et alimentaire, le risque d’accaparement de terre à grande échelle est grand et suscite l’opposition des paysans colombiens.
Les grandes propriétés foncières d’élevage couvrent 39 millions d’hectares, contre 5 millions pour l’agriculture. Les narcotrafiquants se cachent derrière ces grands propriétaires. La redistribution de la terre ne suffira pas à changer la situation. Il faut un appui de l’État pour renforcer la petite et moyenne paysannerie et l’aider à ne plus dépendre du capitalisme agraire. Il s’agit d’un projet à grande échelle qui doit s’attaquer aux structures économiques du pays pour rétablir les équilibres et lui permettre d’exercer une plus grande souveraineté sur les questions économiques et alimentaires.
Un forum rassemblant les paysans et les populations indigènes s’est tenu pour faire le point des revendications. Les conclusions ont été posées sur la table des négociations à la Havane.
Quels sont les autres points de négociations entre la guérilla et le gouvernement ?
Le deuxième point de la négociation porte sur les libertés et la question de la participation politique. Elle concerne la situation judiciaire des fonctionnaires, des officiers, des personnes impliquées dans la guerre, y compris les dirigeants de la guérilla.
Le troisième point concerne les millions de victimes, surtout et pour la plupart, celles de la guerre de contre-insurrection menée par l’État et les paramilitaires, mais aussi celles de l’action des FARC et de la guérilla. Avec 5 millions de déplacés, la Colombie dépasse désormais le Soudan et devient le pays qui a le plus grand nombre de réfugiés internes. La lumière doit être faite sur les massacres de milliers de civils, les disparitions, les assassinats et les jeunes qui ont été trompés et tués par l’armée, les faisant passer comme des morts au combat. Les familles des victimes ont droit à la vérité, à la justice et à la réparation.
Un autre point concerne l’illégalité des champs de culture de la coca, enjeu posé par les FARC contre le gouvernement qui ne voit dans les producteurs de coca que des narcotrafiquants. Les FARC veulent réaffirmer qu’elles ne sont pas un cartel de la drogue comme le prônent les médias de l’impérialisme. Il s’agit d’un sujet essentiel qui concerne les paysans et tous ceux qui dépendent de cette culture pour survivre. Il faut proposer des solutions alternatives aux dispersions aériennes de défoliants toxiques et aux mesures de répression sur les paysans n’ayant d’autres moyens de pour faire vivre leur famille.
Enfin, un enjeu majeur des négociations réside dans la validation et la co-validation pour la ratification des accords. Il faut un calendrier de réalisation des engagements avec un mécanisme d’évaluation des résultats. Rien ne sera signé si tout n’est pas accordé. Il faut s’entendre sur cette méthodologie. Ces accords doivent fonder une partie du corpus constitutionnel et de l’organisation institutionnelle du pays. La paix est un devoir.
L’accord devrait créer les conditions d’une assemblée nationale constituante avec une participation populaire forte pour décider des réformes politiques, notamment de la réforme électorale, de l’usage des territoires et de leurs ressources, et d’une plus grande souveraineté en matière économique. La Colombie est un pays riche qui a besoin de régulation politique pour une meilleure gestion des ressources au service du plus grand nombre, contre la logique de prédation imposée par les entreprises transnationales.
Les discussions sur la réforme agraire sont maintenant terminées. Le deuxième point des négociations va donc être abordé prochainement.
Comment les forces de gauche se situent dans ce dialogue ?
Les forces de gauche appuient la lutte pour la paix et les négociations en cours dans une dynamique d’unification large avec Marche patriotica et le Congrès des peuples. Ce front milite pour un programme démocratique de transformation et pour la paix. Une rupture est nécessaire pour sortir le pays de la crise profonde dans laquelle il se trouve du point de vue économique et de ses structures. Le dialogue est un pas en avant qui doit permettre de consolider les conditions de participation politique du plus grand nombre et des réformes sociales à hauteur des défis, comme par exemple dans le secteur sinistré de la santé, où la privatisation a créé un désastre.
Les syndicalistes, les militants politiques, des droits de l’homme et des libertés sont-ils toujours victimes de répression ?
Depuis le début de l’année, on dénombre plusieurs assassinats de syndicalistes. Le combat syndical se fait dans des conditions très difficiles. Le para militarisme et le terrorisme d’État ont conduit à une répression des travailleurs organisés. Le devoir de la gauche est de renforcer le rôle et la signification politique et sociale des syndicats qui sont la cible de la répression. La syndicalisation se fait dans des conditions si dramatiques que les dernières grèves ont été menées par des collectifs de travailleurs qui n’avaient pas de liens avec les structures syndicales. Les forces de gauche combattent ces conditions primitives dans lesquelles luttent les salariés, et défendent les droits syndicaux.
Quelles sont les conséquences sur l’économie colombienne des traités de libre-échange, notamment celui signé récemment, entre l’Union européenne, la Colombie et le Pérou ?
Les traités de libre-échange conclus avec les États-Unis et l’Union européenne renforcent les grands projets agro exportateurs et d’élevage. Ils vont donc à l’encontre du développement du pays et sont facteurs d’inégalités entre grands producteurs tournés vers le marché mondial, petits et moyens producteurs liés au marché national. Ces derniers sont touchés de plein fouet par les importations de lait de l’Union européenne. L’opposition à ces traités est donc assez forte. Elle milite pour un contrôle de leur application et même une révision de leur contenu.
Hugo Chávez a-t-il joué un rôle en Colombie ? Sa disparition influera-t-elle sur la situation régionale ?
Hugo Chávez a joué un grand rôle dans les négociations politiques avec les FARC et l’Armée populaire de libération pour la recherche d’un accord. Son attitude a été décisive de par son poids politique dans l’espace andin. Il a imposé la recherche de la paix comme facteur de stabilité pour toute la région. Le candidat Maduro a réaffirmé l’appui du Venezuela au dialogue et au processus de négociation. Le Venezuela accompagne au même titre que le Chili le processus, tandis que Cuba et la Norvège sont des observateurs.
Quel regard portez-vous sur la crise en Europe dans ses dimensions politique et économique ?
La situation se détériore en Europe, aux États-Unis, au Moyen-Orient et partout dans le monde. La Colombie ressent davantage les conséquences de la crise en Amérique du Nord de par les liens très étroits qui existent avec les États-Unis. La crise mondiale impacte lourdement les échanges et fait peser une grave menace sur les équilibres mondiaux.
Elle contraint la bourgeoisie à chercher une issue du côté de la paix et à réfléchir sur les questions stratégiques cruciales. Les logiques précédentes ne peuvent plus continuer. Les défis de la crise mondiale imposent de trouver une issue politique en Colombie. Les négociations sont longues et difficiles mais les enjeux posés sont incontournables. Avancer vers davantage de justice sociale est la seule perspective d’avenir possible.
Entretien publié par la Fondation Gabriel Péri
LA COLOMBIE
Avec environ 46 millions de personnes en 2008, la Colombie est le troisième pays le plus peuplé d'Amérique latine après le Brésil et le Mexique. Il abrite également le troisième plus important nombre d'hispanophones dans le monde après Mexique et l'Espagne.
La Colombie est l'un des pays les plus riches de la planète en matière de biodiversité, classée à ce titre de Pays mégadivers en tant que second pays le plus diversifié au monde. Avec ses deux côtes (Pacifique et Caraïbe), ses nombreuses montagnes, son climat varié, la diversité des biotopes est particulièrement vaste.
18:14 Publié dans Actualités, AL-Pays : Colombie, Entretien, Politique | Tags : farc, colombie, cuba, paix, démographie, jaime caycedo | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook | | |