04/06/2024
Mexique, à Gauche toute
Présidence, chambre des députés, Mexico, 7 États sur 9 : comment la gauche mexicaine a remporté son pari.
Le pays qui compte 130 millions d’habitants sera bientôt dirigé par une femme. Claudia Sheinbaum l’emporte dans un scrutin marqué par d’excellents résultats pour une gauche portée par le bilan d’Amlo.
Une révolution dans la révolution ? C’est sans aucun doute une double victoire pour la gauche mexicaine. Symbolique d’abord avec l’élection, dimanche 2 juin, d’une femme à la tête de ce pays à la réputation profondément machiste et où l’ONU estime que 10 féminicides ont lieu chaque jour.
L’ex gouverneure de Mexico, Claudia Sheinbaum, 61 ans, est ainsi entrée dans l’histoire en étant élue, haut la main (autour de 58 % des voix, selon les premiers résultats annoncés par l’Institut national électoral), aux commandes de la seconde puissance économique latino-américaine.
Mais c’est surtout du point de vue politique que le résultat est frappant, avec un constant clair et sans appel : la coalition de gauche formée par le Mouvement régénération nationale (Morena), le Parti du travail (PT) et le Parti vert écologiste du Mexique (Pvem) a tout bonnement pulvérisé la droite. Unie derrière la polémique figure de l’ex-sénatrice du Parti d’action nationale, Xóchitl Gálvez, la coalition du bloc conservateur (à laquelle se sont joints le Parti révolutionnaire institutionnel, PRI, et celui de la révolution démocratique, PRD) n’a obtenu que 28 % des voix.
Le mouvement Morena contrôle 24 des 32 États du pays
La déroute de la droite va bien au-delà dans le processus électoral le plus important de l’histoire du pays. Plus de 98 millions de Mexicains étaient appelés aux urnes pour élire, en plus de la présidence de cette République fédérale, huit postes de gouverneurs, le chef du gouvernement de la ville de Mexico, plus de 19 000 postes d’élus locaux et, surtout, pour rénover l’entièreté de la Chambre des députés et du Sénat.
Et c’est peu dire que la gauche a relevé le défi : en remportant 7 des 9 États et en parvenant à maintenir sous son giron la capitale du pays, la coalition menée par le mouvement Morena a renforcé son pouvoir territorial avec le contrôle de 24 des 32 États du pays. Carton plein aussi au Congrès où la coalition de gauche a obtenu la majorité qualifiée à la Chambre des députés (entre 346 et 380 sièges sur 500, selon les premières estimations) et pourrait aussi l’obtenir au Sénat, où elle dispose d’ores et déjà de la majorité absolue.
Des résultats qui confirment le virage politique historique amorcé en 2018 avec l’arrivée au pouvoir d’Andrés Manuel López Obrador (Amlo), le premier président de gauche de l’histoire du pays. S’il ne fait aucun doute que la victoire de Claudia Sheinbaum doit beaucoup à l’énorme popularité de son mentor, c’est avant tout l’assurance de voir le projet politique porté par celui-ci, la « quatrième transformation du pays » (4T), perdurer dans le temps qui aura assuré le triomphe du bloc progressiste.
« Outre son propre parcours et le fait qu’elle a pu s’appuyer sur le bilan positif d’Amlo, la victoire de la candidate de Morena est avant tout la confirmation de la volonté des Mexicains de poursuivre dans la transformation du pays », explique le spécialiste du Mexique, Obey Ament. Pour cet ancien responsable de l’Amérique latine du PCF, « le peuple, qui avait choisi en 2018 de mettre fin aux gouvernements néolibéraux, vient de confirmer qu’il s’opposait à un retour en arrière. Les Mexicains savent qu’elle continuera la lutte pour en finir avec le régime qui avait fait du Mexique un pays extrêmement riche et pourtant flagellé par la pauvreté, un butin pour une oligarchie ».
rojet de nation »
« Nous savions que la gauche allait gagner car le président Amlo a tenu parole, il y a eu un réel changement (avec son gouvernement) », assuraient dimanche soir au quotidien la Jornada des partisanes de Claudia Sheinbaum venues célébrer sa victoire sur la place centrale de la capitale. Situé entre 60 et 80 % selon les sondages, le taux de popularité du président sortant ne tombe pas du ciel.
Ayant bénéficié d’un contexte macro-économique très favorable, il peut se targuer d’avoir fortifié l’économie du pays. Mais celui qui avait promis de gouverner « d’abord pour les pauvres » a surtout respecté ses engagements durant un sexennat aux nombreuses politiques, qualifiées de très populaires, en premier lieu desquelles on trouve une multiplicité de programmes sociaux visant les secteurs les plus précarisés de la société. Plus de 30 millions de personnes, sur une population totale de 130 millions d’habitants, ont pu en bénéficier, dans un pays où les couches populaires étaient plutôt habituées à voir l’argent public se perdre dans les méandres d’une corruption généralisée.
La lutte contre ce fléau a ainsi été un des principaux chevaux de bataille d’un président qui aura osé mener à bien son programme ouvertement de gauche, mettant en avant la nécessité d’un État providence. Nationalisation des ressources naturelles, retour d’un État fort et interventionniste placé au cœur de la vie économique du pays…
Les nombreuses réformes sociales menées par Amlo visant à résorber les pires travers d’une société profondément marquée par l’injustice sociale (avec notamment la symbolique hausse du salaire minimum de 120 % en termes réels) n’ont certainement pas été suffisantes pour changer la structure capitaliste du pays, mais elles auront réussi à enclencher un début de meilleure répartition des richesses.
Un projet de nation
Son gouvernement peut se vanter en particulier d’avoir sorti plus de 5 millions de personnes de la pauvreté, soit la réduction la plus importante des seize dernières années. Et d’avoir ravivé l’intérêt pour le débat politique dans une société qui avait perdu tout repère idéologique, avec une repolitisation des couches populaires qui restera aussi comme l’un des plus importants héritages du sexennat.
Avec Claudia Sheinbaum, élue sur un programme suivant la même ligne directrice tracée par la 4T, la relève est assurée. « Ce n’est pas une personne qui a été élue, mais un projet de nation », a-t-elle indiqué lors de sa première déclaration publique après l’annonce des résultats. Portée par la majorité d’un peuple aux nombreuses attentes, la petite-fille de juifs ayant fui le nazisme aura à relever, à partir du 1er octobre, de nombreux défis.
À commencer par celui de mettre fin à une violence devenue exponentielle depuis l’offensive lancée, en 2006, contre les cartels de la drogue, et que même les plus ambitieux programmes sociaux d’Amlo n’ont pas réussi à résorber.
11:38 Publié dans AL-Pays : Mexique, Portrait | Tags : mexique, élections 2024 | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook | | |
10/02/2019
Rafael Correa: «Il y a une indignation sélective sur le Venezuela»
La tension monte au Venezuela, de nombreux pays ayant reconnu Juan Guaido, autoproclamé président face à Nicolas Maduro. Nous avons demandé à Rafael Correa sa lecture de cette crise. Il s’exprime aussi sur les pays d’Amérique latine et sur son exil.
Rafael Correa a été pendant 10 ans président de l’Equateur, menant une politique de gauche, axée sur le social. Il vit désormais en Belgique, pays d’origine de sa femme, rencontrée pendant leurs études à Louvain-la-Neuve.
Pour vous, qui est président du Venezuela ?
Nicolas Maduro, évidemment. Comment peut-on dire autre chose ? Il a gagné les élections en mai de l’an dernier, j’étais là comme observateur. Personne ne peut questionner la transparence des élections. Mais l’opposition n’a pas voulu y participer.
La plupart des candidats de l’opposition ont été interdits de participation, il est difficile de parler d’élections démocratiques…
L’opposition ne s’est pas mise d’accord parce qu’elle est fortement divisée. Elle savait que, faute d’unité, elle allait être vaincue. Et il y a eu des candidats d’opposition qui se sont présentés. Maduro a gagné l’élection avec 67 % des voix, avec une participation de 46 %. Mais, quoi qu’il en soit, quel est l’article de la constitution qui dit qu’on peut soutenir quelqu’un qui s’autoproclame président ? Demain, je proclame Hillary Clinton présidente des Etats-Unis, parce qu’elle a eu plus de voix, et les Etats-Unis doivent m’obéir ? C’est de la folie ! La question n’est pas de savoir si on aime bien Maduro ou pas, mais de voir si la Constitution permet de reconnaître un autre président. Et c’est non. Ce qui se passe est tout à fait contraire au droit international. Les Etats-Unis ont conspiré avec leurs alliés de Colombie et du Brésil pour faire surgir Juan Guaido. Ils ne font pas cela pour la démocratie, sinon, pourquoi ne réclament-ils pas plus de démocratie en Arabie Saoudite ? On est en plein double standard ! Ce qui intéresse les responsables américains, c’est les immenses réserves de pétrole du Venezuela.
En attendant, le peuple vénézuélien vit de façon misérable, avec des pénuries terribles, et il y a cette aide humanitaire qui arrive…
Je suis allé récemment sur place, et bien sûr qu’il y a une crise, avec des pénuries, mais ce n’est pas une vraie crise humanitaire. Il faut être prudent, car selon le droit international, il y a dans ce cas un droit d’ingérence. Il est clair qu’il y a des problèmes économiques au Venezuela, dus notamment à la chute des prix du pétrole, mais au lieu d’essayer de les résoudre, les États-Unis les ont aggravés en imposant de multiples sanctions, qui ont compliqué l’achat de vivres et de médicaments. On est en pleine hypocrisie ! Les USA annoncent 20 millions d’aide humanitaire, mais ils viennent de saisir des millions de dollars dus au Venezuela pour ses ventes de pétrole. Ils sont en train d’envoyer des convois de camions aux frontières de la Colombie et du Brésil avec le Venezuela, accompagnés par les forces armées de ces pays. C’est de la provocation : un tir qui se perd pourrait déclencher un conflit très violent. C’est aussi dangereux qu’irresponsable. Et la propagande dit : Maduro ne laisse pas entrer l’aide humanitaire !
L’armée des États-Unis pourrait intervenir ?
Pas directement, car cela coûterait trop cher. Mais ils ont de nouvelles tactiques : créer d’autres conflits, pour éviter des victimes américaines. Par exemple le Brésil et la Colombie contre le Venezuela. Or l’armée brésilienne est la plus puissante de toute l’Amérique latine. Et l’armée colombienne est la troisième, après celle du Mexique, grâce à l’argent du Plan Colombia, cette aide américaine massive théoriquement destinée à lutter contre le trafic de drogue. Les USA pourraient bombarder, envoyer des missiles pour détruire des bases militaires au Venezuela. S’il devait y avoir une intervention armée, cela déclencherait certainement une guerre civile, car Maduro et ses supporters ne vont pas se laisser faire. Il est faux de croire qu’il n’a plus de partisans : aux élections législatives de 2015 qu’il a perdues – elles étaient donc forcément représentatives ! – le chavisme a quand même obtenu 33 %. A la présidentielle de l’an dernier, quand on croise les résultats et la participation, on voit que 30 % des gens ont voté pour lui.
Que pensez-vous de l’attitude des pays membres de l’Union européenne qui ont massivement reconnu le président du parlement Juan Guaido comme président de la république ?
Je suis très déçu car il s’agit d’un précédent terrible. Demain, si je n’aime pas un gouvernement de l’Amérique latine, alors je dis que les élections n’ont pas été transparentes et je reconnais n’importe qui comme président ! Dans mon pays, en Equateur, le nouveau pouvoir a organisé un référendum qui n’était pas constitutionnel pour m’empêcher de jamais pouvoir me représenter, et l’UE n’a rien dit ! C’est sélectif, il s’agit d’une morale de convenance. Ceci va passer à l’histoire comme un moment vraiment honteux. Voir l’Espagne ou le Parlement européen reconnaître Guaido, c’est terrible, incroyable ! Heureusement, la représentante de la diplomatie de l’UE, Federica Mogherini, a une position plus neutre, elle essaie d’arranger les choses, d’éviter un conflit. On verra si ce Groupe de contact, qui réunit une délégation de pays d’Europe et d’Amérique latine arrive à quelque chose.
Que faut-il faire face à une situation si compliquée ?
Il faut laisser les Vénézuéliens résoudre leurs problèmes entre eux ! Ils pourraient avancer les élections, pourquoi pas, mais ce sont les Vénézuéliens qui doivent en discuter, pas les États-Unis, ni les Européens ni même les pays d’Amérique latine.
Mais selon l’opposition, Maduro a fait échouer toute tentative de dialogue…
C’est plutôt le contraire. J’ai parlé longuement avec José Luis Rodriguez Zapatero, ex-président du gouvernement espagnol, qui a tenté une médiation entre le pouvoir et l’opposition à Caracas. Il m’a expliqué que l’opposition a une grande responsabilité dans la non-réussite de ces discussions car elle veut l’échec, elle recherche la crise et la violence, seule façon selon elle de battre le chavisme.
Il y a quand même près de 3 millions de Vénézuéliens qui ont quitté leur patrie pour d’autres pays de la région, ce qui provoque une crise régionale…
Trois millions ? Cela me semble beaucoup, mais il est certain qu’il y a une crise. Et il y a aussi des millions de Colombiens qui ont fui leur pays, et qui en parle ? On est de nouveau dans le double standard. Il y a de la violence au Venezuela, mais c’est encore bien pire au Mexique. Qui en parle ? Au Brésil, il y a eu un coup d’Etat contre Dilma Rousseff, et Lula a été empêché de participer aux élections pour faire gagner Bolsonaro ! Le juge qui a mis Lula en prison est maintenant ministre de la Justice de Bolsonaro, mais cela semble ne choquer personne…
Amérique latine : « La situation, très grave, rappelle les années des dictatures militaires »
Dans les années 2000, vous faisiez partie de cette nouvelle gauche latino-américaine avec Chavez, Lula, Evo Morales, les Kirchner… Qu’en reste-t-il ?
Ces années ont été une époque en or. En Equateur, ce fut une réussite gigantesque. On a doublé la taille de l’économie, le FMI a reconnu que nous avions sorti deux millions de personnes de la pauvreté, et l’extrême pauvreté a été réduite de 12 à 6 %. On avait avant un des pires réseaux routiers d’Amérique du Sud et nous avons construit le 2e meilleur. On devait acheter de l’électricité à la Colombie et au Pérou, maintenant on leur en vend ! On est passés d’une production de 40 % d’énergie hydroélectrique à plus de 90 %. Pendant mes 10 années au pouvoir, j’ai remporté 14 élections ! J’ai battu le camp de la bourgeoisie, elle m’a donc traité de dictateur ! Dans toute la région, elle n’a pas accepté d’avoir perdu et a donc décidé d’écraser tous les progressismes et de rétablir l’ancien régime. Maintenant, il ne faut plus gagner les élections, il faut contrôler celui qui a gagné. Il y a une agression terrible par des moyens inconstitutionnels, en utilisant les entreprises médiatiques qui détruisent les réputations de ceux qu’il faut abattre, puis en contrôlant le système judiciaire. La situation rappelle les années 70, celles des dictatures militaires qui ont brisé toutes les tentatives de changement et fait perdre 30 ans. Maintenant, il y a des techniques efficaces comme au Brésil, en Equateur, au Venezuela. Elles ont l’air plus soft, mais détruisent la Constitution, les droits humains, la démocratie. La bourgeoisie et l’extrême droite reprennent le pouvoir avec comme résultats inégalités et pauvreté.
Il y a des choses que vous referiez différemment ?
C’est à la fin de sa vie qu’on a le plus de sagesse et d’expérience ! Oui, j’ai fait des erreurs, mais pas sur les grandes stratégies. Pour moi, la base de la démocratie, c’est une école publique de très bonne qualité gratuite. On a fermé de petites écoles pour en ouvrir de plus grandes, équipées en informatique, wifi, bibliothèques, laboratoires, sport et musique. Un succès en ville, mais plus compliqué en zone rurale. Or, la bourgeoisie veut bien que les enfants des domestiques aillent à l’école, mais elle veut garder des écoles privées exclusives pour ses enfants, pour cultiver les réseaux, l’entre soi. Ce n’est pas un hasard si l’Amérique latine est l’endroit avec les pires inégalités. Tous les pouvoirs appartenaient à cette haute bourgeoisie, y compris les médias et l’Eglise.
C’étaient toujours les descendants des conquistadors qui dirigeaient tout ?
Ces inégalités sont en effet un héritage de la colonisation. C’est un problème culturel et politique. Aux Etats-Unis, les colonisateurs ont tué la culture native et l’ont remplacée par celle venue d’Angleterre. En Amérique latine, il y a eu un mélange de culture espagnole et indienne. Mais ce ne sont pas les meilleurs Espagnols qui sont venus : des bandits qui voulaient faire fortune. Et ils ont réussi à convaincre les Indiens qu’ils étaient inférieurs. La minorité blanche avait le pouvoir et exploitait la majorité. On n’a pas eu besoin d’apartheid ou de politique de ségrégation, il suffisait d’avoir un système éducatif déficient pour les plus pauvres. C’est pour cela qu’il y avait tant de misère dans une région avec de telles ressources naturelles. En distribuant mieux la richesse, on pouvait supprimer la pauvreté. Mais pour y arriver, il fallait faire payer des impôts aux plus riches pour financer un meilleur système d’éducation et de santé. Il fallait réguler le marché du travail, partager la propriété de la terre : une lutte politique avec les puissants qui n’ont jamais payé d’impôt.
Votre ancien vice-président Lenin Moreno a été élu président pour continuer votre politique puis il a pris un virage néolibéral.
C‘est très difficile de construire quelque chose de novateur, mais tellement facile de le détruire. Il a trahi le programme de gouvernement pour lequel il avait été élu. Le patron des patrons est devenu ministre de l’économie. Les grandes entreprises siègent désormais au gouvernement, et les décisions sont prises en leur faveur, pas au bénéfice du peuple. Le nouveau pouvoir a mené un coup d’Etat institutionnel. Il a mis en prison le vice-président, Jorge Glas, qui était très proche de moi : on lui a inventé une affaire de corruption liée à l’affaire Oderbrecht (un gigantesque scandale de pots-de-vin lié à cette entreprise brésilienne, NDLR), mais c’était bidon, basé sur un faux témoignage. L’argent qu’il aurait reçu n’a jamais été trouvé. Glas est un prisonnier politique, mais l’Europe ne veut rien savoir. Moreno a ensuite organisé un référendum, notamment pour m’empêcher de revenir au pouvoir, avec des conséquences rétroactives, ce qui est illégal. Il a aussi pris le contrôle de façon illégale du Conseil qui nommait, au mérite et sur concours, les responsables du secteur de la justice. Il a démis tous ceux qui étaient en place et en nommé d’autres, aux ordres, prenant le contrôle de la justice. L’Organisation des Etats Américains vient de statuer sur l’illégalité de ce processus, mais c’est fait…
« Je suis victime d’une persécution politico-judiciaire »
Vous-même, vous êtes accusé par la justice de votre pays pour une tentative d’enlèvement d’un opposant. Qu’en est-il ?
Un policier a témoigné, affirmant que j’avais ordonné cet enlèvement en 2012. Il a dit qu’il m’avait rencontré trois fois, puis il a changé sa version et dit qu’il m’avait téléphoné. Je n’ai jamais été en contact avec lui, je ne le connais pas : c’est un faux témoignage. Ce n’est pas suffisant, aucune preuve n’a été fournie. Je vis en Belgique, mais la juge voulait que je me présente tous les 15 jours à la justice à Quito : ce n’est pas possible. Je suis allé au consulat, qui a compétence judiciaire, mais la juge n’a pas accepté. Donc elle a voulu lancer contre moi un mandat d’arrêt international, mais Interpol a refusé car le dossier était vide, et l’accusation purement politique.
Vous ne pouvez donc pas rentrer en Equateur ?
Non, car j’irais en prison et je n’en sortirais sans doute jamais. Je subis une persécution terrible. Ils m’ont collé 20 procès au total, notamment sur l’endettement du pays. C’est ridicule. Il y a aussi des accusations sur l’usage des deux avions présidentiels, qui ont permis au ministre des Affaires étrangères d’aller chercher en mission humanitaire des Equatoriens en danger : mauvais usage de fonds publics ! Je ne peux pas non plus me rendre ailleurs en Amérique latine, car s’il y a des accords d’extradition, un gouvernement qui ne m’aime pas pourrait m’envoyer en Equateur. Et les nouvelles autorités veulent me priver de la pension due aux présidents parce que je ne suis pas Equateur et que j’ai des ennuis avec la justice.
Vous avez demandé l’asile politique en Belgique ?
Je ne peux pas confirmer ni nier cette information, il faut en parler avec mon avocat. (Qui nous a répondu que « le droit international prévoit des règles de confidentialité strictes en matière d’asile, qui interdisent de confirmer ou d’infirmer si une demande d’asile a été introduite. Nous envisageons toutes les possibilités afin de combattre les poursuites judiciaires politiques manifestement abusives dont il est victime en Equateur. Nous avons aussi saisi les organes compétents des Nations unies »)
Vous habitez à Ottignies avec votre épouse belge et vos enfants…
Des « journalistes » d’Equateur sont venus me voir et ont publié mon adresse, donc j’ai reçu de nombreuses visites non désirées. Un d’entre eux voulait à tout prix montrer que je suis corrompu. Comme je vis dans une petite maison, il est allé filmer à Uccle la grosse propriété des parents d’un ami de ma fille et dit que c’était la mienne. Un autre a filmé un concessionnaire Ferrari pour tenter de prouver que je suis très riche !
Vous avez une vie normale en Belgique ?
C’est un pays tranquille, agréable, on se sent en sécurité. Mais j’ai toujours le stress de voir quelle nouvelle accusation va être inventée contre moi. Je travaille beaucoup : je donne des cours online, des conférences pour un centre d’études latino-américain espagnol. Pour Russia Today (chaîne d’info russe), j’ai fait des entretiens avec Dilma Rousseff, Lula, Chomsky… Je donne aussi des conseils en économie. J’ai créé une fondation avec les anciens membres de mon gouvernement, on tente de faire avancer la pensée progressiste. Mais tous mes revenus vont à mes avocats : je leur ai payé 100.000 dollars l’an dernier ! On a épuisé toute notre épargne. On vient de louer notre maison de Quito : la justice voulait la saisir mais on l’a mise au nom des enfants. Cela nous fera un petit revenu en plus. Et ma femme qui est professeur fait un remplacement.
Quel est votre état d’esprit ?
Toujours combatif. J’ai déjà traversé des épreuves, j’ai appris à relativiser : le plus important c’est la santé, la famille. Mais c’est très dur de voir mon pays faire marche arrière sur l’éducation, la dignité. Et comment le pouvoir essaie de détruire mes amis en Equateur. C’était mon projet de vie, donc je suis triste. On a tellement lutté, et rien n’a changé. Mais j’ai la paix intérieure : j’ai fait tout ce que je pouvais. Et l’espoir reste. Et je suis toujours en vie pour raconter cela.
Rafael Correa est né à Guayaquil (Equateur) en 1963, il y fait des études d’économie qu’il poursuit grâce à une bourse à Louvain-la-Neuve où il rencontre son épouse, la Belge Anne Malherbe. Ils ont trois enfants. Prônant une politique de gauche axée sur le social, il est élu président de la République, fonction qu’il exerce de 2007 à 2017. Son vice-président Lenin Moreno est ensuite élu chef de l’Etat avec le même programme, mais il prend un très net virage néolibéral. Rafael Correa vit désormais en Belgique avec sa famille.
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11/04/2017
Équateur. Lenin Moreno reprend le flambeau de la révolution citoyenne
Cathy Dos Santos, L'Humanité
Le candidat d’Alliance Pays s’est imposé face à celui de la finance, Guillermo Lasso qui a contesté les résultats. Le successeur de Rafael Correa entend approfondir les politiques d’inclusion sociale.
Après la victoire de la droite en Argentine, puis le coup d’État institutionnel contre la gauche au Brésil, et alors même que la crise politique s’intensifie dangereusement au Venezuela, le second tour de l’élection présidentielle en Équateur était très attendu.
Les Équatoriens ont défait dans les urnes les pronostics des grands groupes médiatiques selon lesquels la vague néolibérale qui souffle actuellement sur l’Amérique latine allait balayer la « révolution citoyenne » initiée en 2006 par l’actuel chef de l’État, Rafael Correa. Le candidat d’Alliance Pays (AP), Lenin Moreno, a remporté le scrutin présidentiel avec 51,16 % des suffrages, selon un décompte presque définitif du Conseil national électoral (98 %). Il devance ainsi l’ex-banquier et chantre de la droite Guillermo Lasso, qui totalise 48,84 % des votes. Face à huit adversaires au 1er tour, l’ancien vice-président (2007-2013) avait raté de peu l’élection le 19 février, en trébuchant sur la barre fatidique des 40 % des suffrages requis.
Il affrontait dès lors un bloc hétéroclite miraculeusement réuni autour d’un maigre programme : « Tout sauf Lenin ». Ce qui explique l’écart de moins de 230 000 voix qui sépare les deux hommes. Le représentant du secteur bancaire et du patronat n’a d’ailleurs pas hésité à se saisir de ce résultat pour crier à la manipulation. « Nous ne permettrons pas que l’on violente la volonté populaire », a écrit Guillermo Lasso sur son compte Twitter.
Les formations progressistes régulièrement accusées de fraude
« Il faut descendre dans les rues pour dire : “Ne me vole pas mon vote” parce que nous voulons un changement en Équateur », a-t-il insisté, en ajoutant qu’il allait « présenter des objections de manière soutenue ». Et dans la foulée, de s’en remettre à l’Organisation des États américains, organisme d’ingérence par excellence des États-Unis, en dépit de la présence d’organismes et d’observateurs internationaux qui n’ont émis aucune critique quant au déroulement du scrutin. La réaction de Guillermo Lasso n’est pas franchement surprenante. Depuis l’avènement des premiers gouvernements de gauche à la fin des années 1990, le scénario se répète : à chaque fois que les formations progressistes gagnent de peu une élection, on les accuse de fraudes et lorsqu’elles triomphent haut la main, il en est de même.
Lenin Moreno, qui sera officiellement investi le 24 mai, s’est posé en président de tous les Équatoriens et a enjoint à ses compatriotes de « travailler pour le pays […] en paix et en harmonie ». « Je serai le président de tous et vous allez m’aider. Lorsque j’achèverai mon mandat, nous pourrons dire : la malnutrition infantile, la crise du logement, la pauvreté extrême et la corruption ont été éradiquées », a-t-il déclaré dès dimanche soir.
Durant la campagne, le candidat de la gauche n’a cessé de mettre en avant le bilan de la « décennie gagnée », notamment grâce aux politiques d’inclusion sociale qui ont extirpé deux millions de personnes de la pauvreté. Mais sans non plus taire les imperfections et les erreurs de ses prédécesseurs. Pas question pour autant de toucher à la politique de redistribution impulsée par Rafael Correa. Durant son mandat, il souhaite mettre l’accent sur la création d’emploi.
Un effort financier de 241 millions de dollars pour l’emploi des jeunes
Avec la construction de 325 000 nouveaux logements, dont 191 000 seront attribués gratuitement aux familles ayant des bas revenus, 136 000 postes devraient voir le jour. Dans un contexte national et régional de ralentissement économique avec la chute du cours des matière premières, le nouveau président plaide pour un effort financier de 241 millions de dollars (225 millions d’euros) en direction de l’emploi des jeunes. Les actuelles aides sociales en faveur des foyers les plus pauvres seront également revalorisées. Bref, Lenin Moreno n’entend pas reculer sur les dépenses publiques génératrices elles aussi de gains, en dépit des critiques de ses opposants de droite.
Enfin, dans un autre registre, la victoire de la gauche pérennise l’asile du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, réfugié dans l’ambassade équatorienne de Londres depuis juin 2012, alors que Guillermo Lasso rêvait de l’expulser en moins de trente jours en cas de victoire.
19:03 Publié dans AL-Pays : Equateur, Portrait | Tags : equateur, lenin moreno, président | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook | | |
30/08/2015
Cuba. Josefina Vidal, diplomate jusqu’au bout des ongles
Depuis le réchauffement des relations avec les États-Unis, c’est une femme qui mène le train des négociations. La directrice générale de la section des États-Unis au ministère des Relations extérieures fait partie de la nouvelle génération des dirigeants cubains.
Le dernier round des négociations cubano-nord-américaines venait de se terminer à Washington et Josefina de la Caridad Vidal Ferreiro faisait son entrée dans la salle de presse.
La chef de la délégation cubaine, 54 ans, balayait du regard les journalistes présents et d’une voix posée déclarait : « Nous avons progressé en peu de temps, alors que les relations de mon pays avec les États-Unis sont interrompues depuis plus de cinquante ans. »
Une professionnelle qui recherche « le sans-faute »
Progressé ? Cuba retiré de la liste des pays terroristes, plusieurs problèmes techniques comme ceux relevant des affaires bancaires réglés, le rétablissement des relations diplomatiques pouvait être envisagé. Reste que Madame la négociatrice rappelait plusieurs revendications cubaines : la levée de l’embargo, la fin de l’occupation américaine à Guantanamo, l’arrêt des atteintes à la souveraineté de son pays avec notamment la fermeture des émissions de radio et de télé états-uniennes appelant à la subversion. Mme Vidal, diplomate jusqu’au bout de ses ongles vernis, sourire aux lèvres, a de la classe, reconnaissent ses interlocuteurs. De la classe ? Pas seulement.
La dame, selon ceux qui ont travaillé avec elle ou l’ont approchée, est redoutable d’intelligence, de connaissances et de savoir-faire. Son homologue américaine aux négociations, Roberta Jacobson, qui n’est pas née, elle aussi, de la dernière pluie, le reconnaît, déclarant publiquement qu’elle apprécie « le sens pragmatique » de son interlocutrice, glissant discrètement à son entourage : « Faut pas se laisser embobiner par cette communiste de haut vol. » Bien vu.
Josefina Vidal, directrice générale de la section des États-Unis au ministère cubain des Relations extérieures, est membre du comité central du Parti communiste de Cuba. Fille de coco et fière de l’être. Jusqu’où ira son parcours ? Elle a étudié de 1979 à 1984 à Moscou à l’Institut des relations internationales. Jusqu’en 1990, elle a travaillé au centre d’études sur les États-Unis à l’université de La Havane avant de séjourner sept ans à Paris à l’ambassade de Cuba comme analyste puis de rejoindre Washington comme première secrétaire de la section des intérêts cubains. Mme Vidal, Mme de la Caridad Vidal Ferreiro, Companera Josefina, c’est selon, parle parfaitement l’anglais, le russe et le français. Ça aide. Sera-t-elle la prochaine ambassadrice de Cuba à Washington ?
Cette femme fait partie de la nouvelle génération des dirigeants cubains. Ils ont la cinquantaine, sont nés avec la révolution et ont bénéficié d’une formation de qualité dans les écoles et les universités de l’île : les atlantes métissés du futur souvent présentés comme « les enfants de Fidel ». Ils savent ce qu’ils doivent à la révolution, ils savent aussi que le monde change et qu’il faut prendre à bras ouverts les bouleversements technologiques, économiques, sociétaux afin de donner un souffle nouveau à la construction de la société socialiste au risque sinon de disparaître. Tel est le sens des réformes mises en œuvre ces dernières années sous l’impulsion de Raul Castro, qui a d’ores et déjà annoncé qu’il ne briguerait pas un nouveau mandat à la présidence du pays.
Josefina Vidal reste d’une grande discrétion sur sa vie personnelle. Elle joue collectif. Trop peut-être pour ceux qui, comme nous, veulent en savoir un peu plus sur sa vie, ses goûts, sa famille sans sombrer dans la « pipolisation ». Elle s’en tient à son « job ». Une professionnelle qui recherche « le sans-faute » jusqu’au moindre détail, au risque de la rendre déshumanisée. Alors, derrière la carapace, quoi ?
Ses anciens camarades de lycée et d’université s’accordent à souligner sa « gentillesse ». Elle n’a jamais eu « la grosse tête », affirme Manuela, qui a partagé les mêmes salles de classe avec la diplomate. Et qui ajoute : « Je ne sais pas si elle a maintenant le temps de cuisiner mais je me souviens qu’elle préparait superbement le guacamole. » On ne saura pas – pour le moment – si elle préfère la cuisine française au traditionnel porc-haricots cubain ou à l’hamburger états-unien. En revanche, on sait qu’elle ne partira pas en vacances cette année, rétablissement des relations diplomatiques avec les États-Unis oblige.
Dans la longue histoire cubano-nord-américaine d’après la révolution, Fidel et Raul Castro ont joué les premiers rôles. Il y a eu aussi Ricardo Alarcon, représentant de Cuba aux Nations unies et interlocuteur redouté des Yankees. Désormais, une nouvelle figure s’affirme : une femme, une révolutionnaire de son temps, Mme Josefina Vidal.
Cinquante-quatre ans après… Les États-Unis et Cuba ont officiellement rouvert leurs ambassades à La Havane et à Washington, le 20 juillet dernier. À Washington, une cérémonie a eu lieu en présence du ministre des Affaires étrangères, Bruno Rodriguez, la première visite d’un chef de la diplomatie cubaine depuis 1959. Le drapeau cubain hissé était celui qui avait été retiré le 3 janvier 1961 lors de la fermeture de la mission diplomatique cubaine aux États-Unis. Ce drapeau avait été ramené à Cuba et conservé par l’historien Eusebio Leal. À La Havane, aucune cérémonie n’a eu lieu, mais le bloc de béton et de verre situé sur le Malecon, boulevard du front de mer, sera bien transformé en ambassade américaine.
Elles et les combats d'aujourd'huiJosé FortMercredi, 12 Août, 2015
12:41 Publié dans Actualités, AL-Pays : Cuba, Portrait | Tags : josefina vidal, diplomate | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook | | |