55 ans de politique extérieure révolutionnaire
23/01/2014
• Cuba accueillera le prochain Sommet de la CELAC avec un engagement de plus de 55 ans dans la défense des principes de justice et de souveraineté dans l'arène internationale
Sergio Alejandro Gomez, pour Gramma
CUBA est un petit pays pauvre en ressources naturelles, ce qui ne l’a pas empêché de mettre en œuvre depuis 55 ans une politique extérieure d’une portée et d’une influence mondiales, basée sur les principes et les valeurs révolutionnaires.
Cet avis est partagé même par ses rares – mais puissants – adversaires, qui n’ont pas pu éviter l’intensification et la diversification des liens que nous avons tissés avec les peuples et les gouvernements du monde entier.
Dans l’essence même de la nation, dans son caractère insulaire et dans sa composition multiethnique résident certaines des clés qui expliquent les rapports actifs de Cuba avec l’extérieur tout au long de son histoire.
Située dans la mer des Caraïbes, une région que l’écrivain et ancien président dominicain Juan Bosch a qualifié de frontière impériale, notre pays a de tout temps suscité les ambitions de conquête et de domination des grandes puissances, depuis l’Espagne et la Grande Bretagne, jusqu’aux États-Unis.
Dans de telles circonstances, le principal intérêt national, dans n’importe quelle conjoncture, a été de garantir notre souveraineté, notre indépendance et notre autodétermination.
Le triomphe de la Révolution, le 1er janvier 1959, est l’événement historique qui a matérialisé ces objectifs, sans cesse ajournés par une république néocoloniale dépendante des États-Unis. Le choix de la voie de la construction du socialisme à 90 milles marins des côtes de la principale puissance capitaliste fit de la consolidation d’une politique extérieure efficace une question de vie ou de mort.
ANTI-IMPÉRIALISME, INTERNATIONALISME ET ANTICOLONIALISME
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Les États-Unis voyaient dans l’exemple que représentait Cuba pour l’Amérique latine et la Caraïbe, ainsi que pour les pays du Tiers monde, un réel danger pour leurs intérêts, si bien qu’ils mirent en place une politique agressive visant à renverser le nouveau gouvernement par tous les moyens possibles.
En 1962, à Punta del Este, en Uruguay, les États-Unis réunirent les pays de l’Organisation des États américains (OEA) afin de leur imposer leur stratégie d’isolement de la Révolution cubaine. À cette rencontre, la plupart des gouvernements oligarchiques se plièrent aux intérêts US.
« L’OEA fut démasquée comme étant un ministère des colonies yankee », devait déclarer Fidel devant le peuple réuni sur la Place de la Révolution de La Havane, le 4 février 1962, où il rendit publique la Seconde déclaration de La Havane.
« Nous aurons la solidarité de tous les peuples libérés du monde, et la solidarité de tous les hommes et femmes dignes du monde », soulignait le leader cubain.
C’est à des milliers de kilomètres à l’est que Cuba, dont l’économie reposait essentiellement sur l’exploitation de monoculture sucrière, put trouver des alliés pour construire un nouveau modèle de société plus juste et solidaire.
Pour des raisons politiques, économiques et de sécurité, les relations avec le camp socialiste, notamment avec l’Union soviétique, occupèrent une place prépondérante dans la politique extérieure.
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Cependant, jamais la porte ne fut fermée à une amélioration des relations avec les pays d’Amérique latine et de la Caraïbe, et même avec les États-Unis. De fait, dans la mesure où durant les décennies suivantes les dictatures et les gouvernements de droite soumis aux intérêts des USA cédèrent la place à des forces moins réactionnaires, la Révolution créa d’importants espaces d’échanges dans son environnement géographique naturel.
Cuba ne tourna jamais le dos à la cause des pays du Tiers monde, et notre pays fut membre fondateur – et un acteur de poids – du Mouvement des pays non alignés, qu’il présida pour la première fois entre 1979 et 1983, en pleine apogée de la Guerre froide.
Dès le début, les combattants et les coopérants cubains apportèrent leur aide désintéressée à plusieurs pays qui se battaient pour leur indépendance, notamment en Afrique et en Amérique latine, en accord avec les principes anti-impérialistes et anticolonialistes de la Révolution. Ainsi, des dizaines de milliers de médecins, instituteurs et conseillers civils en tout genre ont contribué au développement social et économique des pays du Sud.
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L’indépendance de l’Angola et de la Namibie, le début de la fin de l’apartheid, la formation de milliers de professionnels qui ont enseigné, sauvé des vies et construit des logements, des hôpitaux et des écoles dans les pays fraîchement libérés, sont quelques-uns des succès obtenus à cette époque.
La politique extérieure, tout comme la Révolution elle-même, était mue par ses idéaux. Cette réalité, quoique tardivement, fut reconnue même dans les rangs ennemis.
« Castro était probablement le dirigeant révolutionnaire le plus authentique au pouvoir à cette époque », écrivit dans ses mémoires Henry Kissinger, considéré comme un habile politicien aux États-Unis
BRISER LE SIÈGE
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Au début de la décennie des années 90, la désintégration de l’Union soviétique et la chute du camp socialiste portèrent un coup dur à Cuba, qui du jour au lendemain se vit privée de ses principaux marchés et de ses fournitures essentielles. Espérant porter le coup de grâce à la Révolution cubaine, les secteurs les plus extrémistes et anticubains des États-Unis firent durcir le blocus à travers l’adoption de la Loi Torricelli, en 1992, et la Loi Helms-Burton, en 1996, entre autres mesures de coercition, et destinèrent des centaines de millions de dollars supplémentaires à la subversion et à la création d’une soi-disant « opposition interne ».
Déjouant tous les pronostics de ceux qui claironnaient la fin de la Révolution, Cuba n’a pas seulement résisté, mais s’est renforcée sur plusieurs fronts.
Les relations avec les pays du Sud, et en particulier avec l’Amérique latine et la Caraïbe, ainsi qu’avec l’Asie, ont connu un nouvel essor, ce qui a permis de donner une continuité à nos principes et objectifs au sein des organismes internationaux, tout en mettant l’accent sur la recherche de la paix, la volonté d’intégration et la coopération.
Les politiques agressives, illégales et extraterritoriales de Washington ont été d’une arrogance telle qu’elles ont suscité une réprobation internationale quasi unanime, et porté à des niveaux inimaginables la solidarité avec Cuba, y compris dans les pays traditionnellement alliés des États-Unis.
Preuve en sont les votes de l’Assemblée générale des Nations Unies qui depuis le début des années 90 condamnent chaque année le blocus US : si en 1992 50 pays s’étaient prononcés pour, 3 avaient voté contre, et la majorité 72 s’étaient abstenus, en 1997 (un an après l’adoption de la Loi Helms-Burton), 143 pays ont voté pour la levée du blocus, 3 ont voté contre, et il y a eu 17 abstentions.
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Malgré les difficultés économiques, la solidarité cubaine s’est multipliée. Même pendant les dures années de la période spéciale, Cuba n’a pas hésité à mettre son capital humain à la disposition des peuples du monde, voire ses faibles ressources économiques, comme en témoigne l’assistance médicale gratuite offerte aux pays d’Amérique centrale dévastés par les ouragans George et Mitch en 1998.
Les écoles et les universités cubaines sont restées ouvertes non seulement aux Cubains mais aux milliers d’étudiants étrangers venus partager nos pénuries et nos difficultés pour ensuite devenir ingénieurs, professeurs et autres professions.
SUCCÈS ET DANGERS AU NOUVEAU SIÈCLE
La première décennie du XXIe siècle a débuté par un événement qui a ébranlé les fondements de la nation : la lutte pour le retour du petit Elian Gonzalez, retenu illégalement aux États-Unis. À cette occasion le peuple arbora notre politique extérieure dans les rues dans des manifestations massives qui ne cesseraient qu’avec l’arrivée sur le sol cubain du père, Juan Miguel Gonzalez, avec son fils dans les bras.
Cette décennie comporterait aussi de nouveaux dangers. Pendant huit ans le monde dut supporter le gouvernement du républicain George W. Bush, peut-être le pire président que les USA aient connu, et qui allait écrire l’une des pages les plus sombres de la politique extérieure de son pays.
Guerres préventives, dommages collatéraux, prisons secrètes et tortures de prisonniers devinrent des termes courants sous son mandat. L’attentat du World Trade Center de New York servit de prétexte au déclenchement d’une guerre paranoïaque contre un ennemi nouveau et fuyant : le terrorisme.
La politique guerrière des États-Unis constitua une menace directe, notre île s’étant retrouvée dans le groupe des plus de 60 « coins obscurs du monde » qui soutiennent le terrorisme et, par conséquent, susceptibles de faire l’objet d’une « guerre préventive ».
Ces arguments sont risibles. Les agressions de la part des États-Unis contre la Révolution pendant plus de 50 ans sont plus que suffisantes pour prouver que ce pays pratique systématiquement un terrorisme d’État pour atteindre ses objectifs.
Par ailleurs, le territoire des États-Unis a servi à héberger et protéger des organisations terroristes et des criminels avérés ayant semé la mort et la destruction à Cuba, comme Luis Posada Carriles et Orlando Bosch, parmi beaucoup d’autres.
Au lieu de les appréhender et les condamner, les autorités US s’ appliquèrent à traquer et à arrêter un groupe de jeunes Cubains qui avaient pour mission d’obtenir des informations sur ces mêmes structures terroristes qui mettaient en danger la sécurité des citoyens.
Depuis, Cuba livre une bataille pour la libération des Cinq, qui ont été déclarés Héros du pays, et cette campagne est aujourd’hui au centre de notre conflit historique avec les États-Unis et l’un des points essentiels de notre politique extérieure.
La campagne internationale pour la liberté de ces antiterroristes, qui dure depuis plus de 15 ans déjà, a déclenché un mouvement de solidarité dans le monde entier, y compris dans d’importants secteurs de la société civile des États-Unis.
Autre aspect important qui confirme son rôle dans la défense des causes du Tiers monde, Cuba a assumé une nouvelle fois en 2006 la présidence du Mouvement des pays non alignés.
Tout au long de la première décennie du siècle, notre pays a remporté d’importants succès dans la sphère multilatérale, comme les condamnations massives du blocus US à l’Assemblée générale des Nations Unies.
Après l’enterrement de l’ancienne Commission des droits de l’Homme, Cuba a été élue membre à part entière du nouveau Conseil des droits de l’Homme, où les États-Unis n’avaient pas de siège, ce qui a réduit à néant la justification qu’ils invoquaient pour maintenir leur politique d’agression et de subversion, révélant au grand jour leurs véritables ambitions.
LA FIN DE LA LONGUE NUIT NÉOLIBÉRALE
Pendant les dix premières années du XXIe siècle, l’Amérique latine et la Caraïbe ont subi une transformation radicale qui a bouleversé le rapport de forces, jusqu’ici favorable à la droite et au néolibéralisme.
Comme l’a souligné le président équatorien Rafael Correa, cette époque a marquée la fin de « la longue nuit néolibérale » qui avait précipité les grandes majorités dans la misère alors qu’un petit groupe de privilégiés s’enrichissait.
L’élection d’Hugo Chavez à la présidence du Venezuela en 1999, et la victoire ultérieure des mouvements progressistes et de gauche en Argentine, en Uruguay, au Brésil, en Équateur, en Bolivie, au Paraguay et au Nicaragua, entre autres, instaurèrent un nouveau climat de coopération et d’échange entre les pays de la région.
Le début du mois de novembre 2005, dans la ville argentine de Mar del Plata, a marqué un point d’inflexion, confirmant que des vents nouveaux soufflaient sur le continent. Ce Sommet a marqué l’échec de ALENA que voulaient imposer les États-Unis afin de créer un espace de libre échange dans l’ensemble de notre région.
Quelques mois plus tôt, un autre jalon avait été posé en faveur de l’union des peuples latino-américains. En décembre 2004, le président de la République bolivarienne du Venezuela, Hugo Chavez, et le leader historique de la Révolution cubaine Fidel Castro, avaient signé la Déclaration conjointe pour la création de l’ALBA (Alternative bolivarienne pour les peuples d’Amérique), et La Havane avait accueilli le 1er Sommet de cet organisme.
D’autres pays allaient adhérer à cette initiative : la Bolivie, le Nicaragua, la Dominique, l’Équateur, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Antigua-et-Barbuda, et le Honduras. Ce dernier pays quitta l’organisme régional en 2009 à la suite du coup d’État perpétré contre le président constitutionnel Manuel Zelaya.
« Nous affirmons que le principe cardinal qui doit guider l’ALBA est la solidarité la plus large entre les peuples d’Amérique latine et de la Caraïbe, qui se nourrit de la pensée de Bolivar, Marti Sucre, O’Higgins, San Martin, Hidalgo, Pétion, Morazan, Sandino, et tant d’autres précurseurs, sans nationalismes égoïstes ni politiques nationales qui nient l’objectif de construire une Grande Patrie en Amérique latine, telle que l’ont rêvée les héros de nos luttes émancipatrices », est-il dit dans le document constitutif.
SOLIDARITÉ : DÉBUT ET FIN
Dans ce nouveau contexte, et après avoir surmonté les plus graves vicissitudes économiques, la portée de l’internationalisme cubain devint un exemple de ce que peut faire un pays guidé par des principes de justice.
Ainsi voyait le jour le Programme intégral de santé, destiné à étendre les services médicaux à une centaine de pays, notamment d’Afrique et d’Amérique latine. Ce projet comportait la formation et la préparation de ressources humaines dans les régions couvertes par des médecins cubains. L’École latino-américaine de médecine de La Havane qui en 1999-2000 comptait plus de 3 000 étudiants de 23 pays, est parvenue à décupler son nombre d’étudiants étrangers, issus pour la plupart de milieux défavorisés qui, une fois leur diplôme en mains, retournent servir dans leurs communautés d’origine.
En 2005, les graves inondations provoquées par l’ouragan Katrina aux États-Unis poussèrent Cuba a créer la Brigade médicale Henry Reeves, ainsi baptisée par Fidel en hommage à un médecin new-yorkais qui participa au mouvement de lutte pour l’indépendance de Cuba. Ce contingent était prêt à venir en aide aux victimes.
Devant le refus des autorités US, il serait déployée peu de temps après sur le sol pakistanais, secoué par un puissant tremblement de terre considéré comme la pire catastrophe naturelle de l’histoire de ce pays, et qui fit environ 80 000 morts et plus de 3 millions de sinistrés.
Depuis, la Brigade Henry Reeves a accompli plus d’une dizaine de missions, apportant des secours d’urgence dans des zones touchées par des catastrophes naturelles dans des pays comme le Guatemala, le Pakistan, la Bolivie, l’Indonésie, Belize, le Pérou, le Mexique, l’Équateur, la Chine, Haïti, le Salvador et le Chili.
Même si le domaine de la santé reste le fleuron de la coopération cubaine dans le monde, d’autres sphères comme l’éducation témoignent d’un engagement important. La méthode Yo si puedo, mise au point par des spécialistes cubains au début de la décennie, a permis d’alphabétiser des millions de personnes adultes dans le monde.
Dans le cadre de l’ALBA, Cuba et le Venezuela ont mené à bien des missions internationalisme conjointes comme l’Opération Miracle, qui avait pour objectif d’opérer en dix ans 6 millions de personnes souffrant de troubles ophtalmologiques divers. Ce programme amorcé au Venezuela s’est étendu à une trentaine de pays d’Amérique latine, de la Caraïbe, d’Asie et d’Afrique.
Nos professionnels se sont également déployés sur le territoire vénézuélien dans le cadre des Missions Barrio Adentro, qui ont offert des services de santé à des millions de citoyens de ce pays.
Du fait de sa portée et de son importance, la coopération internationale cubaine est devenue l’un des éléments essentiels des relations entre Cuba et le Tiers monde.
Sans renoncer aux principes solidaires qui ont toujours guidé la Révolution cubaine, ces échanges se sont transformés en un système de coopération Sud-Sud mutuellement avantageux.
UN SOMMET HISTORIQUE
Le 2e Sommet de la Communauté des États latino-américains et caribéens (CELAC) prévu à La Havane à la fin du mois de janvier est un événement historique qui marquera la fin de la présidence tournante de notre pays à la tête du premier organisme regroupant 33 pays indépendants d’Amérique latine et de la Caraïbe, sans la tutelle d’aucun facteur externe.
En 2008, en réponse à un appel du président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, les pays qui forment aujourd’hui la CELAC s’étaient réunis à Costa do Sauipe, au Brésil.
À cette réunion fut décidée l’entrée de Cuba au Groupe de Rio, ainsi que la constitution d’une union de l’Amérique latine et de la Caraïbe sans les États-Unis.
Cuba prit une participation active aux discussions préalables à ce que nous connaissons aujourd’hui comme la CELAC, dont la réunion de constitution eut lieu à Caracas, au Venezuela, en 2011.
La création de cet organisme, qualifiée par Fidel Castro de l’événement politique le plus important du dernier siècle, a montré que notre région avait atteint un niveau de maturité suffisant pour avancer vers un nouveau paradigme d’intégration avec une inclusion sociale, pas seulement basé sur des intérêts mercantiles. Le fait que Cuba ait été le deuxième pays choisi pour assumer la présidence de la CELAC n’est pas un hasard. C’est une reconnaissance de la validité et de l’actualité des principes, des valeurs et des objectifs de la politique extérieure cubaine pendant plus d’un demi-siècle.
C’est également un message direct d’unité de la région contre les agressions dont Cuba est victime de la part des États-Unis, pays qui s’est retrouvé complètement isolé dans sa politique de blocus et de subversion.
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