Haïti, l’emprise des États-Unis (19/09/2024)

Haiti politique.jpg

Censée prêter main-forte aux policiers haïtiens dans la lutte contre la violence des gangs armés, la nouvelle force validée par l’ONU arrive au compte-goutte. Surtout, l’objectif affiché paraît mission impossible sans une prise en compte réelle des dominations politiques et économiques.

 

Ils sont désormais 426 précisément. Aux 400 policiers kényans débarqués fin juin en Haïti, sont venus s’ajouter 20 militaires et quatre policiers jamaïcains, ainsi que deux soldats du Belize, un petit État du Commonwealth situé en Amérique centrale, sur la mer des Caraïbes.

Le commandant kényan Godfrey Otunge, qui dirige la mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), s’est réjoui que celle-ci soit « désormais une mission entièrement multinationale ». En attendant quelques effectifs du Bénin ou du Bangladesh, qui l’ont promis.

Mais c’est un leurre : derrière cette mission conduite par le Kenya, « ce sont bien la communauté internationale et notamment les États-Unis qui sont à la manœuvre », indiquait le 15 septembre le politologue Frédéric Thomas, chercheur au Centre tricontinental, lors d’un débat consacré à Haïti sur le sujet à la Fête de l’Humanité.

Un président aux ordres de Washington et des gangs qui règnent dans la rue

L’objectif affiché de la MMAS, instaurée par une décision du Conseil de sécurité des Nations unies le 2 octobre 2023, est d’apporter un soutien aux forces de l’ordre haïtiennes dans la lutte contre la violence et les gangs armés. Depuis plus d’un an, la situation est catastrophique : les gangs tiennent près de 80 % du territoire de la capitale, Port-au-Prince, contrôlent de nombreuses routes cruciales pour tout déplacement.

Le pays compte près de 600 000 déplacés internes sur une population d’environ 11,5 millions de personnes. Meurtres, viols de masse et enlèvements contre rançon rythment le quotidien d’une population qui tente souvent l’exil, notamment via la République dominicaine voisine.

La démission d’Ariel Henry, en mars, exigée et obtenue par les gangs puis par la communauté internationale, menée par les États-Unis, n’a rien résolu – comme il était prévisible. Le gouvernement du nouveau premier ministre, Garry Conille, n’a aucune légitimité aux yeux du peuple haïtien.

C’est pourtant lui qui « dirige le pays depuis mai 2024, sur mandat du Conseil de transition présidentiel, dans un contexte de crises politiques à répétition, la dernière depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021 », resitue Christophe Ventura, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques et spécialiste de la région Caraïbe, dans une analyse.

Des élections ont été promises par le Conseil de transition pour mi-2025, mais on voit mal comment elles pourraient se tenir dans un tel contexte d’insécurité. « La seule préoccupation des Haïtiens, c’est de survivre », estime Frédéric Thomas.

Quant à la MMAS, elle s’inscrit en réalité dans la longue histoire des forces d’ingérence étrangère en Haïti, comme l’analyse Frédéric Thomas, qui rappelle que le pays a « connu déjà sept forces d’intervention étrangère ». Quant au choix surprenant du Kenya, il l’explique aisément : « Pourquoi le Kenya ? Parce que personne ne voulait y aller, le Brésil, par exemple, a refusé », précise le politologue.

« Le Kenya de William Ruto est proche de Washington, et sert ses intérêts »

Les États-Unis ne veulent plus apparaître en première ligne, mais refusent de cesser les livraisons d’armes en Haïti et de mettre en place des sanctions contre des élites économiques et politiques corrompues. Pour Christophe Ventura, « l’administration Biden a dit ne pas vouloir gérer et intervenir directement en Haïti, donc ils ont trouvé une autre solution validée par l’ONU. Le Kenya de William Ruto est proche de Washington, et sert ses intérêts ». Cela permet également au pays africain de « faire la démonstration d’une capacité de puissance et de commandement », malgré les vives protestations de l’opposition kényane.

La communauté internationale a beau jeu de s’offusquer de la violence des gangs : « Tant qu’on ne dénoncera pas les liens entre les gangs armés et un personnel politique corrompu, rien ne pourra avancer », dénonce Frédéric Thomas, qui pointe « une impunité généralisée dans le pays parmi les plus inégalitaires au monde, un héritage de la période coloniale ».

Pourtant, alors qu’elle ne compte que 426 policiers et militaires sur les 2 500 promis, le mandat de la MMAS doit arriver à échéance… ce 3 octobre. « On sait très bien que ce mandat sera prolongé », juge Frédéric Thomas. D’autant que c’est bien le Conseil de sécurité qui doit prendre cette décision, et personne ne s’opposera à Washington pour un petit pays comme Haïti, considéré comme faisant partie de la zone d’influence du voisin yankee.

Certainement pas la France, qui a toujours considéré l’île comme ennemie, deux cent vingt ans pile après la révolution qui mit fin à la colonie française et donna naissance à la première République noire au monde.

HAITI, PRESENTATION

Présentation du pays

HAÏTI {JPEG}

Données générales

Nom officiel : République d’Haïti
Nature du régime : République de type présidentiel

Données géographiques

Superficie : 27 560 km2 (Banque mondiale)
Capitale : Port-au-Prince
Villes principales : Cap-Haïtien, Gonaïves, Hinche, Jacmel
Langue (s) officielle (s) : le créole (langue parlée par la majorité de la population) et le français (langue d’apprentissage scolaire)
Langue (s) courante (s) : le créole
Monnaie : la gourde haïtienne (HTG)
Fête nationale : le 1er janvier

Données démographiques

Population : 11 400 000 habitants (Banque mondiale, 2020)
Densité : 403 habitants/ km2 (Banque mondiale, 2020)
Croissance démographique : 1,2 % (Banque mondiale, 2020)
Espérance de vie : 64 ans (Banque mondiale, 2020)
Taux d’alphabétisation : 53,16 % (UNESCO, 2021)
Religion (s) : 55 % catholiques, plus de 40 % protestants, mais la proportion est désormais inverse dans les grandes villes ; la pratique du vaudou reste dominante
Indice de développement humain : 0,510 - 170e (sur 189 pays, source PNUD rapport 2020)

11:45 | Tags : haiti, usa | Lien permanent | Commentaires (0) |  Imprimer | |  Facebook | | | | Pin it! | | |  del.icio.us | Digg! Digg