Argentine : Guido, enfant volé de la dictature (08/08/2014)

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La présidente de l’association des Grands-Mères de la place de Mai a retrouvé son petit-fils, un bébé kidnappé par la junte militaire il y a trente-six ans.

Combien de fois ont-elles tourné en rond sur cette place de Mai ? Le 30 avril 1976, les Mères, las Madres, vont faire leur cet espace situé au cœur de Buenos Aires face à la Maison-Rose, le palais présidentiel. Un mois plus tôt, Jorge Videla a instauré un régime de terreur. Elles ont troqué leurs habits de deuil pour un fichu blanc, symbole du linge de leur enfant disparu et sur lequel elles ont brodé leur prénom.

Pionnières du combat contre la « sale guerre » menée par la dictature militaire (1976-1983), elles n’ont jamais renoncé à retrouver leurs progénitures, ne serait-ce que leurs dépouilles. Devenues grands-mères, Abuelas, ces « mamies » Courage que la junte traitaient de « folles » se sont épaulées, entraidées, face aux menaces et à la répression. Elles continuent de dénoncer le « butin de guerre » des tortionnaires de l’époque : les bébés volés aux opposantes, exécutées par la suite, confiés à des dignitaires du régime qui ne sont autres que leurs petits-enfants.

La fille d’Estela Carlotto, 
Laura, assassinée en juin 1978

Estela Carlotto est une Madre de la première heure. Depuis vingt-six ans, la présidente de l’association des Grands-Mères de la place de Mai attend son petit-fils. Sa fille, Laura, enlevée en novembre 1977, a donné naissance en juin 1978 à un petit garçon qu’elle a prénommé Guido, en hommage à son grand-père. Quelques heures plus tard, Laura est exécutée d’une balle dans la tête. Bien des années après, Estela aura vent de l’existence de sa descendance.

Depuis, elle a célébré le bonheur de ses sœurs de combat lorsque celles-ci ont retrouvé leurs petits-enfants. Avant de savourer le sien. Mardi, la justice lui a annoncé qu’on avait (enfin) retrouvé Guido. En juin, le jeune homme, aujourd’hui âgé de trente-six ans, a poussé les portes de l’association, certain que ses parents ne l’étaient pas. Après qu’il s’est rendu auprès de la Commission nationale pour le droit et l’identité (Conadi), les tests ADN réalisés ont prouvé qu’il était bien le fils de Laura Carlotto et Walmir Oscar Montoya, tous deux militants montoneros (extrême gauche). « Je ne voulais pas mourir avant de le serrer dans mes bras. Je vais bientôt pouvoir l’embrasser. Je veux le toucher, regarder son visage », a déclaré, rayonnante, Estela Carlotto lors d’une conférence de presse au siège des Grands-Mères, en prétsence de ses trois enfants et de ses treize autres petits-enfants. « Il est très ému, il a besoin de temps », a ajouté cette militante acharnée malgré ses quatre-vingt-trois ans. « Je veux partager ce bonheur avec vous. Je l’ai vu, il est beau, c’est un artiste. Il a cherché, il m’a cherchée, comme nous l’avons cherché. »

"Savez-vous qui vous êtes ?"

Il y a quelques années, les Abuelas ont lancé une campagne choc : « Savez-vous qui vous êtes ? » En Argentine, où le travail de mémoire a été considérable, et la justice, à l’avant-garde dans la région, en poursuivant et condamnant les criminels de guerre, rien n’était pourtant écrit d’avance. En 1976, elles n’étaient que quatorze sur la place de Mai. Quatorze à se lever de leurs bancs et à marcher, sans desserrer les dents, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre autour de la pyramide qui se trouve au centre de la plaza.

Quatorze à défier le bourreau Videla, mort il y a un an derrière les barreaux. Quatorze à braver des militaires qui terrifient à tout-va. Elles ont osé dénoncer le terrorisme d’État qui assassinait de manière systématique les opposants de gauche, et quiconque résistait à cette extermination sélective et massive : 30 000 femmes et hommes ont été torturés, tués, jetés vivants dans l’océan depuis des hélicoptères. En dépit de la censure des médias, des coups de matraque, des exactions avec la disparition d’Azucena Villaflor, l’instigatrice du premier rassemblement des Madres, elles ont tenu bon. Après le retour de la démocratie, elles se sont soulevées contre les lois dites de « point final », vaines tentatives d’amnistier les tortionnaires.

Elles ont été de tous les grands procès – plus de deux cents – des figures de la dictature qui ont eu à répondre de leurs crimes. Pas un seul rassemblement en faveur de la démocratie et de la justice sociale n’a échappé à ces femmes aux célèbres fichus blancs.

atgentine,grand-mères,enfants« Cette victoire, c’est la victoire de tous les Argentins », soutient Estela Carlotto, qui a reçu un appel téléphonique de félicitations de la présidente Cristina Kirchner. « Nous avons pleuré ensemble », a-t-elle précisé. « Je veux partager cette énorme joie que m’offre la vie, d’avoir trouvé ce que j’ai cherché, ce que nous avons cherché durant tant d’années. Que Laura sourie depuis le ciel, parce qu’elle le savait avant moi : “ma maman n’oubliera pas ce que vous m’avez fait et elle vous poursuivra” », a-t-elle dit, en référence à l’une des dernières phrases prononcées par sa fille à ses bourreaux.

Pas de vengeance ni de rancœur dans la bouche de cette grande dame. « Je n’ai jamais cherché autre chose que la justice, la vérité et la rencontre avec les petits-enfants. Laura doit être en train de dire : “tu as gagné la bataille”. » La leur. « Aujourd’hui, j’ai mes 14 petits-enfants, la chaise vide ne l’est plus », a-t-elle confié. Comme Guido, plus d’une centaine d’enfants volés ont ainsi été retrouvés. Mais la quête des bébés arrachés à leurs mères – près de 400 – est loin d’être terminée. Sur la place de Mai, elles tournent, et tournent, et tournent encore. Inlassablemen

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17:51 | Tags : atgentine, grand-mères, enfants | Lien permanent | Commentaires (0) |  Imprimer | |  Facebook | | | | Pin it! | | |  del.icio.us | Digg! Digg