L’amour en temps de crise !
17/04/2014
MELAZA, de Carlos Lechuga. Cuba, France, Panama, 1h20.
Appelons-les Monica et Aldo, puisque eux-mêmes se nomment ainsi. Ils habitent à Melaza, un village cubain qui relève du trou du cul du monde, disons du Cuba profond comme on parle chez nous de la France profonde.
Monica est gardienne dans l’usine désaffectée de rhum qui fit la gloire de la production locale en un temps où l’industrie sucrière était la garantie des revenus pour la population qui en vivait, mais ces temps sont révolus.
À l’époque, les slogans à la gloire du développement de la production fleuraient bon mais, aujourd’hui, il suffit d’entendre le ton de la radio qui commente les fermetures des divers secteurs pour comprendre que cette ultime gardienne n’a plus qu’une porte ouverte sur son avenir, celle du bureau de chômage.
Il en va de même pour Aldo, pourtant le mâle de la tribu. Son statut d’instituteur ne saurait faire ignorer qu’il en est réduit à faire cours de natation dans une piscine qui n’a pas connu d’alimentation en eau depuis perpette et que les répétitions à ce qu’on appellerait ailleurs l’instruction civique consistent à affronter l’impérialisme américain avec des slogans qui relèvent davantage du maniement des soldats de plomb dans une république bananière que de l’entraînement au métier des armes.
Pourtant Monica et Aldo s’aiment, y compris dans la décrépitude d’un matelas qui a connu des jours meilleurs, mais le socialisme lui aussi a connu des jours meilleurs en un temps où la propagande l’avait jugé triomphant. Du coup, retour de manivelle, ne reste plus, pour survivre, que des moyens qui frisent l’illégalité, vendre des stocks de vieux journaux, faire commerce de viande achetée dans la clandestinité ou prêter leur maigre bien à des couples en mal d’aventures passagères, ce que la police ne saurait appréhender d’un œil favorable.
Le Pessimisme n'est que relatif
Comme le dit le réalisateur : « Ce qui m’a intéressé en faisant Melaza était d’approcher au plus près la réalité cubaine que je voyais tous les jours, la raconter de manière naturaliste, sincère, sans excès, de manière humaniste.
Je voulais recréer une histoire d’amour en temps de crise, suivre un couple qui, pour survivre, allait devoir sacrifier son intégrité. Pour rester unis, ils devraient chercher des solutions qui allaient en fait les éloigner l’un de l’autre. » Car le pessimisme ici n’est que relatif. Du côté de la survie, on trouve un réalisateur plus que talentueux, formé à San Antonio de los Banos, d’où sont sortis les meilleurs réalisateurs de la génération précédente, comme maintenant Carlos Lechuga, né à La Havane en avril 1983. L’œuvre repose aussi sur le talent de ses deux comédiens, Yuliet Cruz et Armando Miguel Gomez.
Critique de Jean Roy, l'Humanité
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